130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Le diable, tout le temps, Donald Ray Pollock

Donald Ray Pollock sait de quoi il parle. Avant de s’établir à Chilicothe, Ohio, pour y travailler à l’usine de papier jusqu’à l’âge de 50 ans, il naquit et grandit dans le village voisin de Knockemstiff. Traduit littéralement, le nom de la bourgade signifie « assomme-les », juste reflet des sensibilités prévalant sur les contreforts des Appalaches. Pollock vint à l’écriture sur le tard, et concentra son nouveau travail sur cette zone géographique, d’abord via des nouvelles et la couverture pour le New York Times des élections de 2008, puis dans le roman Le diable, tout le temps, publié en 2011 et bombardé chef d’oeuvre d’un nouveau genre en soi baptisé « hillbilly gothic » ou « gothique péquenot ».

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Un cri s'est éteint

Un homme est assis dans un canapé, écoutant son fils d’une vingtaine d’années s’épancher sur sa souffrance d’enfant de junkie. Le gamin finit par lâcher qu’il l’aime encore. L’homme en est bouleversé. Alors que son visage se tord en un masque d’émotion pure, il laisse échapper un grand cri, presque inhumain.

C’est la scène la plus emblématique de l’histoire d’Intervention, diffusée sur la chaîne A&E, docu série où des drogués sont mis en demeure par leurs proches d’accepter une thérapie. Intervention dure depuis 20 saisons, preuve d’un voyeurisme judéo-chrétien solidement ancré dans la psyché du grand public américain, avec une prédilection pour les récits de rédemption de semi-célébrités sur le retour. Avec Rocky Lockridge, il en eut pour son argent.

Entre un passé de champion du monde de boxe et un présent de SDF constamment défoncé à la gnôle et au crack, la vie tragique de l’homme de Tacoma était pain bénit pour les diffuseurs...

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Éden, Éden, Éden, Pierre Guyotat

C’est arrivé page 72 : j’ai abandonné. Ça ne me ressemble pas. En tant que lecteur, s’entend. La carte postale épinglée au-dessus de mon lit d’enfant l’attestait ; en latin, le prénom Antonius signifie « celui qui fait face », quant à ses porteurs, « grâce à leur persévérance, la réussite est avec eux ». Une fois décidés, des chiens de la casse, des vrais. Comptez sur eux pour finir leurs choux de Bruxelles bouillis s’ils le veulent vraiment.

Or, j’étais résolu à lire Éden, Éden, Éden, de Pierre Guyotat. Appâté en premier lieu par la révérence dont jouit toujours cet écrivain auprès de critiques dignes de foi. Mais aussi, naturellement, par la puissante flaveur à dominante soufrée qui fait la réputation de l’ouvrage, interdit dès sa publication en 1970, et jusqu’en 1981. On ne me la ferait pas, à moi : l’an passé, j’avais lu Lykaia – dont l’auteur mentionnait d’ailleurs Guyotat en interview pour expliquer l’intérêt de la littérature BDSM – sans rendre mon quatre heures, et je n’avais pas non plus molli des genoux, il y a vingt ans, à l’heure d’entamer Les cent vingt journées de Sodome. Plus que mon indécrottable conscience petite-bourgeoise, c’est l’ennui qui me l’avait fait tomber des mains.

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La mule, Clint Eastwood

Clint Eastwood met en scène son propre crépuscule depuis l’année de mon baccalauréat. On peut aussi dater de 1992 l’admiration inconditionnelle que je lui voue. Parce qu’Impitoyable devint alors mon film préféré. Parce que certains de ses autres opus sont merveilleux, et que beaucoup sont passionnants. Mais surtout parce qu’il était évident pour moi que le plus fort de tous, c’était lui. Au point qu’il put sereinement s’employer à dévoiler une à une ses faiblesses, sans que l’exercice eût jamais entamé cette force. Dit autrement : le Clint vieillissant était un fucking badass, un putain de bonhomme, un motherfucker dénué de la moindre chose à prouver...

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Dans l'ombre du brasier, Hervé Le Corre

La ville de Paris compte une rue Thiers et un boulevard Auguste Blanqui, une avenue Mac Mahon et une rue Jules Vallès. Pas de jaloux, peu de mémoire. La Commune de 1871 est un épisode historique connu de nom, mais facilement confondu avec son homonyme de 1792, les Trois glorieuses de 1830, l’insurrection de 1832 narrée dans Les Misérables, voire la révolution de février 1848. Après un examen rapide, mes souvenirs brumeux d’élève du secondaire ne recèlent pas d’effort particulier pour nous apprendre dans le détail la boucherie héroïque que fut le XIXe siècle, vu de la capitale.

La France manque sans doute d’un bout de roman national vraiment lisible sur le sujet, en dépit de la quantité d’études qui s’y sont attachées. Une fois dûment informé, le sens profond que l’on donnera aux quelque sept semaines de la Commune, plus que pour tout autre épisode historique, dépendra des sensibilités. Les vrais conservateurs y verront une chienlit quintessencielle, heureusement réprimée. Les modérés seront gênés aux entournures : l’écrasement brutal de la Commune eut tout du mal nécessaire, à la fois condition du retrait des troupes prussiennes, et solution soutenue par d’authentiques républicains et écrivains éminents. Les adversaires irréductibles d’un ordre dit bourgeois, eux, continueront à rêver d’une utopie tragique qui en aura, malgré tout, valu la peine...