130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

En cours de lecture

Alias Ali, Frédéric Roux

Muhammad Ali prenait la lumière comme personne. Il était grand, magnifique, gracieux, et travaillait dans un cube éblouissant – l’expression est de Nabokov – dessiné par des projecteurs et dont l’image était diffusée sur une infinité d’écrans. Il attirait comme autant de phalènes les regards de ceux qui brûlaient de le voir perdre ou triompher. Fans, détracteurs, partenaires, concurrents, camarades, adversaires, proches, épouses, maîtresses, spécialistes, journalistes, politiciens, bienfaiteurs, exploiteurs, une époque entière s’est exprimée sur Ali ; chacun était convaincu d’avoir saisi l’essence du personnage, projetait sur lui ses propres fantasmes, et tout le monde se contredisait. Lui-même s’est tant exprimé que sa parole, avant de s’éteindre, s’était largement dépréciée, enfin pour peu qu’on y cherchât un sens profond. Paradoxe sur pieds, le personnage est aussi difficile à cerner pour ses biographes qu’il était une cible élusive pour ses confrères au temps de sa splendeur : ce sentiment prévalait une fois refermé Ali : une vie, signé par Jonathan Eig, et il est d’autant plus marquant à la lecture d’Alias Ali...

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Il faut croire au printemps, Marc Villemain

Un musicien de jazz et son fils de dix ans, jamais nommés, errent à travers l’Europe à la poursuite d’une chimère. L’écriture de Marc Villemain est elle-même une errance, entre présent et passé, contemplation et réminiscences, toujours musicale et soyeuse même lorsqu’il faut dire le pire. Et le pire, c’est ce qui met en branle l’étrange histoire d’Il faut croire au printemps. L’enfant était encore un nourrisson lorsqu’un dramatique accident vint clore une dispute entre ses parents, auquel la mère ne survivrait pas. Un féminicide, quelles qu’en fussent les circonstances. La nuit où il fit disparaître le corps à Étretat, l’enfant sanglé dans son couffin sur le siège passager, le contrebassiste décida qu’il n’avait pas le choix et serait le père qu’il faudrait. L’errance du duo a commencé à Étretat, elle se poursuit donc une décennie plus tard en Allemagne, où l’on croit avoir aperçu la mère, puis en Irlande par un hasard très joueur. Pour le fils, de quoi espérer et s’intéresser enfin à l’absente de toujours. Pour le père, de quoi osciller entre expiation et damnation. Le suspense final ne sera pas celui auquel on s’attendait...

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La méfiance du gibier, Stéphane Guyon

Un jeune type prend ses fonctions d’agent d’accueil et de sécurité près d’un escalator qui descend sous la pyramide du Louvre. Il laisse entendre qu’il est étudiant à Jussieu, donc employé à titre provisoire. En uniforme « anthracite, morne« , il oriente les porteurs de sacs et parapluies au vestiaire, les pilotes de poussettes vers l’ascenseur. Et c’est tout pour ce poste-là. Au gré des rotations, les autres ne semblent guère plus exaltants, mais tous composent un métier en bonne et due forme, son « deuxième cette année après le grill d’un fast food ». Tous les jours chacun se voit affecté côté Richelieu, Sully ou Denon. Mieux vaut éviter Sully, « un isthme battu par les vents ». Le travail, ici, n’a pas grand sens, dénué d’enjeux ou d’objectifs. Il consiste avant tout à enchaîner les heures d’attente...

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Des ados et du harcèlement

En bon fils à maman malingre devenu élève d’un bahut de garçons à cours de gym renforcés, j’ai connu bien plus intimement la routine des harcelés que celle de leurs tourmenteurs. Cette condition-là, je l’ai acceptée très tôt. Regarder mes pompes et compter les jours qui séparaient mes camarades de la fin de l’âge bête faisait l’essentiel de ma stratégie. On dirait peut-être « résilience » aujourd’hui ; je sais toutefois qu’à l’époque j’assumais d’être lâche. Je ne faisais pas plus d’efforts pour palier ma faiblesse physique que pour changer quoi que ce soit à la profonde ringardise de ma dégaine d’intello solitaire, à la fois petit choriste, fan de Donjons et Dragons et porteur d’appareils dentaires conséquents. Me mêler sans espoir de succès à la rude compétition du « cool » eût, j’en suis convaincu, aggravé les brimades à mon endroit, aussi préférais-je demeurer aussi marginal qu’inoffensif, bien calé au tréfonds de la chaîne alimentaire.

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Marvin, Pat et Goody

On tient l’anecdote de Bob Arum lui-même, dans une interview accordée à Sports Illustrated. La scène se passe au milieu des années 80, quand Marvin Hagler règne sans partage sur les poids moyens et que le landernau de la boxe bruisse de rumeurs sur un superfight l’opposant au jeune retraité Ray Leonard. La montagne de billets verts à la clé ne peut pas ne pas intéresser Arum, mais il y a un hic, ou plutôt deux. D’une part, Sugar Ray a longtemps fait tourner Hagler en bourrique, soufflant le chaud et le froid à propos d’une confrontation quand il était encore le patron des welters. Et puis « Marvelous » déteste les promoteurs en général et Bob Arum en particulier ; au temps où il était un prospect redouté, il avait dû aller jusqu’à le menacer d’une action en justice pour obtenir enfin une première chance mondiale. Mais Arum a de la suite dans les idées. Il convainc Pat Petronelli, le manager du champion du monde, de le conduire jusqu’au New Hampshire pour sonder son poulain de vive voix. Petronelli se gare dans l’allée de la vaste propriété et les deux hommes conviennent qu’Arum restera dans la voiture pour éviter d’agacer l’ombrageux Marvin.

L’avocat new-yorkais observe la suite à distance : Hagler accueille Pat à l’entrée et tous deux s’installent sur la terrasse. La discussion s’engage de manière détendue puis monte d’un ton : le champion tape littéralement du poing sur la table. Quand Petronelli revient prendre place à ses côtés, Arum suppose que l’affaire est cuite. Le manager le dément : Marvin n’est ni enthousiaste, ni opposé à l’idée d’enfin affronter Leonard. Ce qu’il refuse catégoriquement, c’est la proposition de Pat et son frère Goody, l’entraîneur du champion, de rogner sur leurs 33% habituels de sa bourse pour que le combat puisse se faire. Après tout, chacun y trouverait son compte, on parle d’un montant record chez les poids moyens. Mais la simple idée de revenir sur leur accord initial, jamais formalisé par mieux qu’une poignée de mains, insupporte Hagler. Elle dit tout de la valeur qu’il accordait à la parole donnée comme du lien si particulier qui l’unissait, lui l’enfant sans père d’un ghetto noir du New Jersey, à ces deux frangins italo-américains nés dans une ville tranquille de cols bleus de Nouvelle Angleterre. On ne comprend pas Marvin Hagler sans saisir la nature de ce triangle-là.