130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

En cours de lecture

Il faut toujours envisager la débâcle, Laurent Rivelaygue

C’est l’histoire d’un mec, il perd son boulot. Non pas qu’écrire pour Logistique Infos ait été un rêve de gosse, mais ledit boulot structurait son existence. Sans un tuteur pour le faire pousser droit, il perd pied, et se met comme de juste au roman que chacun rêve d’écrire histoire de se laisser complètement décramponner du réel. On le comprend très tôt, entre deux retards à Pôle emploi et pour récupérer son gamin à l’école : ce réel, il n’en veut plus. Le bougre n’allait déjà pas bien fort, et demeure insomniaque une fois homme au foyer. De la nourriture disparaît de la cuisine. Entre deux autres reproches consignés dans un carnet, sa compagne l’accuse de vider le frigo la nuit. Lui se rend compte que sa maison a tout de la cocotte-minute, enfermant son couple et son enfant dans « une autosuffisance affective et matérielle feinte. » Ses parents sont partis après qu’il eut cessé de les voir. Il n’a pas vraiment d’amis et son fils ne le comprend guère mieux que sa compagne, de plus en plus vacharde et penchée sur ses textos. Il observe les progrès réguliers d’une fissure au plafond, telle la Catherine Deneuve de Dans la cour, fume comme une cheminée transie d’angoisse et tente une thérapie judicieuse sur le papier. La famille part une semaine en Bretagne. ..

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Alias Ali, Frédéric Roux

Muhammad Ali prenait la lumière comme personne. Il était grand, magnifique, gracieux, et travaillait dans un cube éblouissant – l’expression est de Nabokov – dessiné par des projecteurs et dont l’image était diffusée sur une infinité d’écrans. Il attirait comme autant de phalènes les regards de ceux qui brûlaient de le voir perdre ou triompher. Fans, détracteurs, partenaires, concurrents, camarades, adversaires, proches, épouses, maîtresses, spécialistes, journalistes, politiciens, bienfaiteurs, exploiteurs, une époque entière s’est exprimée sur Ali ; chacun était convaincu d’avoir saisi l’essence du personnage, projetait sur lui ses propres fantasmes, et tout le monde se contredisait. Lui-même s’est tant exprimé que sa parole, avant de s’éteindre, s’était largement dépréciée, enfin pour peu qu’on y cherchât un sens profond. Paradoxe sur pieds, le personnage est aussi difficile à cerner pour ses biographes qu’il était une cible élusive pour ses confrères au temps de sa splendeur : ce sentiment prévalait une fois refermé Ali : une vie, signé par Jonathan Eig, et il est d’autant plus marquant à la lecture d’Alias Ali...

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Il faut croire au printemps, Marc Villemain

Un musicien de jazz et son fils de dix ans, jamais nommés, errent à travers l’Europe à la poursuite d’une chimère. L’écriture de Marc Villemain est elle-même une errance, entre présent et passé, contemplation et réminiscences, toujours musicale et soyeuse même lorsqu’il faut dire le pire. Et le pire, c’est ce qui met en branle l’étrange histoire d’Il faut croire au printemps. L’enfant était encore un nourrisson lorsqu’un dramatique accident vint clore une dispute entre ses parents, auquel la mère ne survivrait pas. Un féminicide, quelles qu’en fussent les circonstances. La nuit où il fit disparaître le corps à Étretat, l’enfant sanglé dans son couffin sur le siège passager, le contrebassiste décida qu’il n’avait pas le choix et serait le père qu’il faudrait. L’errance du duo a commencé à Étretat, elle se poursuit donc une décennie plus tard en Allemagne, où l’on croit avoir aperçu la mère, puis en Irlande par un hasard très joueur. Pour le fils, de quoi espérer et s’intéresser enfin à l’absente de toujours. Pour le père, de quoi osciller entre expiation et damnation. Le suspense final ne sera pas celui auquel on s’attendait...

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La méfiance du gibier, Stéphane Guyon

Un jeune type prend ses fonctions d’agent d’accueil et de sécurité près d’un escalator qui descend sous la pyramide du Louvre. Il laisse entendre qu’il est étudiant à Jussieu, donc employé à titre provisoire. En uniforme « anthracite, morne« , il oriente les porteurs de sacs et parapluies au vestiaire, les pilotes de poussettes vers l’ascenseur. Et c’est tout pour ce poste-là. Au gré des rotations, les autres ne semblent guère plus exaltants, mais tous composent un métier en bonne et due forme, son « deuxième cette année après le grill d’un fast food ». Tous les jours chacun se voit affecté côté Richelieu, Sully ou Denon. Mieux vaut éviter Sully, « un isthme battu par les vents ». Le travail, ici, n’a pas grand sens, dénué d’enjeux ou d’objectifs. Il consiste avant tout à enchaîner les heures d’attente...

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Des ados et du harcèlement

En bon fils à maman malingre devenu élève d’un bahut de garçons à cours de gym renforcés, j’ai connu bien plus intimement la routine des harcelés que celle de leurs tourmenteurs. Cette condition-là, je l’ai acceptée très tôt. Regarder mes pompes et compter les jours qui séparaient mes camarades de la fin de l’âge bête faisait l’essentiel de ma stratégie. On dirait peut-être « résilience » aujourd’hui ; je sais toutefois qu’à l’époque j’assumais d’être lâche. Je ne faisais pas plus d’efforts pour palier ma faiblesse physique que pour changer quoi que ce soit à la profonde ringardise de ma dégaine d’intello solitaire, à la fois petit choriste, fan de Donjons et Dragons et porteur d’appareils dentaires conséquents. Me mêler sans espoir de succès à la rude compétition du « cool » eût, j’en suis convaincu, aggravé les brimades à mon endroit, aussi préférais-je demeurer aussi marginal qu’inoffensif, bien calé au tréfonds de la chaîne alimentaire.