130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Des ados et du harcèlement

En bon fils à maman malingre devenu élève d’un bahut de garçons à cours de gym renforcés, j’ai connu bien plus intimement la routine des harcelés que celle de leurs tourmenteurs. Cette condition-là, je l’ai acceptée très tôt. Regarder mes pompes et compter les jours qui séparaient mes camarades de la fin de l’âge bête faisait l’essentiel de ma stratégie. On dirait peut-être « résilience » aujourd’hui ; je sais toutefois qu’à l’époque j’assumais d’être lâche. Je ne faisais pas plus d’efforts pour palier ma faiblesse physique que pour changer quoi que ce soit à la profonde ringardise de ma dégaine d’intello solitaire, à la fois petit choriste, fan de Donjons et Dragons et porteur d’appareils dentaires conséquents. Me mêler sans espoir de succès à la rude compétition du « cool » eût, j’en suis convaincu, aggravé les brimades à mon endroit, aussi préférais-je demeurer aussi marginal qu’inoffensif, bien calé au tréfonds de la chaîne alimentaire.

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Marvin, Pat et Goody

On tient l’anecdote de Bob Arum lui-même, dans une interview accordée à Sports Illustrated. La scène se passe au milieu des années 80, quand Marvin Hagler règne sans partage sur les poids moyens et que le landernau de la boxe bruisse de rumeurs sur un superfight l’opposant au jeune retraité Ray Leonard. La montagne de billets verts à la clé ne peut pas ne pas intéresser Arum, mais il y a un hic, ou plutôt deux. D’une part, Sugar Ray a longtemps fait tourner Hagler en bourrique, soufflant le chaud et le froid à propos d’une confrontation quand il était encore le patron des welters. Et puis « Marvelous » déteste les promoteurs en général et Bob Arum en particulier ; au temps où il était un prospect redouté, il avait dû aller jusqu’à le menacer d’une action en justice pour obtenir enfin une première chance mondiale. Mais Arum a de la suite dans les idées. Il convainc Pat Petronelli, le manager du champion du monde, de le conduire jusqu’au New Hampshire pour sonder son poulain de vive voix. Petronelli se gare dans l’allée de la vaste propriété et les deux hommes conviennent qu’Arum restera dans la voiture pour éviter d’agacer l’ombrageux Marvin.

L’avocat new-yorkais observe la suite à distance : Hagler accueille Pat à l’entrée et tous deux s’installent sur la terrasse. La discussion s’engage de manière détendue puis monte d’un ton : le champion tape littéralement du poing sur la table. Quand Petronelli revient prendre place à ses côtés, Arum suppose que l’affaire est cuite. Le manager le dément : Marvin n’est ni enthousiaste, ni opposé à l’idée d’enfin affronter Leonard. Ce qu’il refuse catégoriquement, c’est la proposition de Pat et son frère Goody, l’entraîneur du champion, de rogner sur leurs 33% habituels de sa bourse pour que le combat puisse se faire. Après tout, chacun y trouverait son compte, on parle d’un montant record chez les poids moyens. Mais la simple idée de revenir sur leur accord initial, jamais formalisé par mieux qu’une poignée de mains, insupporte Hagler. Elle dit tout de la valeur qu’il accordait à la parole donnée comme du lien si particulier qui l’unissait, lui l’enfant sans père d’un ghetto noir du New Jersey, à ces deux frangins italo-américains nés dans une ville tranquille de cols bleus de Nouvelle Angleterre. On ne comprend pas Marvin Hagler sans saisir la nature de ce triangle-là.

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72 Seasons, Metallica

L’enjeu de ces 72 saisons, le temps réputé définir la personnalité d’un individu, ce sont les 240 qu’atteindront cette année les cofondateurs de Metallica James Hetfield et Lars Ulrich. Après avoir été pionniers puis innovateurs géniaux, superstars inattendues, divas vendues et honnies, expérimentateurs arty pas franchement convaincants et habiles briscards de stades pleins, les voici qui achèvent leur ascension en abordant le glacis final. Il s’agit désormais d’avancer sur le plateau en pente douce avec suffisamment d’aplomb pour bercer les nostalgiques à fort pouvoir d’achat qui peuplent leurs concerts sans chute sur le derrière et glissade accélérée jusqu’au dernier ravin...

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La promesse, Friederich Dürenmatt

Même quand il détaille les pires horreurs dont les humains se rendent coupables, le polar rassure. Il rend le mal lisible, confère une certaine logique à ses manifestations et décline la méthode pour le comprendre, sinon en venir à bout. Le genre est souvent pessimiste en diable, insistant sur l’insignifiance et la précarité des moyens que se donne la société pour vaincre les serpents qu’elle nourrit en son sein. Peu d’œuvres, cependant, sapent autant la confiance nourrie par le lecteur dans la lutte contre le crime que La promesse. Le roman naquit d’une œuvre de commande, le scénario d’un film intitulé Ça s’est passé en plein jour dans lequel jouèrent notamment le futur Auric Goldfinger, Gert Froebe, et la vedette française Michel Simon. Sorti en 1958, le long métrage était destiné à éveiller les consciences sur la fréquence croissante des meurtres d’enfants. Lorsqu’il fit un roman de son scénario, Friederich Dürrenmatt précise dans la postface qu’il orienta son travail différemment, s’attachant à la psyché de l’enquêteur Matthieu en tant que « personnage typique de notre vingtième siècle » plutôt qu’aux crimes eux-mêmes. C’est du roman plus que du scénario d’origine que fut inspiré The Pledge, réalisé en 2001 par Sean Penn, avec Jack Nicholson en alter ego de Matthieu.

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Trois messieurs dans le vent

J'ai toujours peiné à dire simplement en quoi les Beatles étaient un groupe d'exception. Leur préférant les Stones et quantité de formations bruyantes comme tout, je n'éprouve pourtant aucune difficulté à reconnaître qu'ils furent les plus géniaux de tous ceux qui ont œuvré à une ou deux guitares, une basse et une batterie. Quant à dire pourquoi, donc, l'affaire se complique. Sauf à verser dans un catalogue d'aimables poncifs, le propre du génie consiste à être insaisissable, ressenti plutôt qu'expliqué. Depuis une grosse trentaine d'années que je m'intéresse au rock n'roll envisagé au sens large, j'ai toutefois pu relever un fait objectif : les authentiques fans des Fab Four sont les plus obsessionnels du lot – m'y entendant en monomanies, on lira la formule qui précède comme un hommage. Il s'avère que trois de ceux qui m'honorent de leur amitié ne s'étaient jamais rencontrés avant 2023, et que l'idée d'être rassemblés autour de quoi boire et manger seyait à chacun. Rendez-vous fut donc pris en février. Je m'y rendis comme au Hellfest, carnet et stylo à portée de main, projetant de retenir la moindre velléité d'imposer une trame à la discussion, et surtout absolument dénué d'un pronostic sur le résultat de cette expérience de sociologie de groupe, qu'il s'agisse d'un pacte de sang, de bris de mobilier ou de tout produit de sortie intermédiaire. Tout juste avais-je l'intuition que l'amical et excentrique aréopage m'aiderait enfin à dire pourquoi les Beatles sont bien les plus géniaux du lot.