130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Luis Rodriguez, délit de sale gueule

Tout fan de boxe obsessionnel qui lit la langue de Mike Tyson est familier de la rubrique « Best I’ve faced » sur la version en ligne de Ring Magazine, où d’anciennes gloires du noble art fabriquent le boxeur idéal à partir des attributs de leurs meilleurs adversaires. Ainsi, selon Julio Cesar Chavez, le vis-à-vis le plus redoutable aurait eu les jambes d’Hector Camacho, la défense de Pernell Whitaker et le punch d’Edwin Rosario. Le magazine déroge parfois à ses habitudes en rebaptisant sa rubrique « Best I’ve trained » pour questionner un entraîneur sur ce qu’eût été LE boxeur parfait constitué à partir de ses poulains. Entre Muhammad Ali et Ray Leonard, Dieu sait si Angelo Dundee contribua à façonner des combattants formidables à plus d’un égard. Or, dans ses réponses au magazine, un nom revint aussi souvent que les leurs, fût-ce à égalité dans certaines catégories : celui de Luis Rodriguez, qui combattit de 1956 à 1972 en professionnels. Lui qui se retira sur un palmarès de 107 victoires et 13 défaites est rarement mentionné ailleurs qu’en note de bas de page. On parle pourtant d’un boxeur dont Angelo Dundee plaçait le jab et la défense au niveau de ceux d’Ali et Leonard, jugeait la technique égale à celle de Sugar Ray et considérait les mains comme les plus rapides de toutes. Rien que ça.

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Mes amis, Emmanuel Bove

Il y a deux ans, je participai à une rencontre en ligne avec un éditeur que j’estime, l’Arbre vengeur, ou plutôt le monsieur caché derrière le vindicatif feuillu. La séance fut d’autant plus réussie qu’il proposa aux participants de leur adresser un texte cher à ses yeux, publié dans la collection poche si justement nommée L’arbuste véhément. Comme Victor Bâton, le protagoniste de Mes amis, je suis parfois sujet à des pudeurs inexpliquées, au point de ne pas m’être inscrit sur la liste des destinataires en dépit d’une franche curiosité. J’hésitai ensuite à acheter ce bouquin à chaque fois que je l’aperçus dans une (bonne) librairie. Ce n’était jamais le bon moment, et puis ma pile à lire occupe littéralement toute une bibliothèque. Il aura fallu que je finisse par en attraper un exemplaire d’occasion sur un coup de tête là où j’allai m’acheter de vieux CDs de heavy metal. Bien m’en a pris : rarement les paradoxes de l’étrange animal social qu’est l’être humain auront mieux été exposées en à peine 200 courtes pages.

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Le voyant d'Étampes, Abel Quentin

Tous les cinq ans, la résurrection médiatique de Nicolas Dupont-Aignan nous rappelle l’existence de l’Essonne, sans que l’on soit guère capable de placer Yerres ou Longjumeau sur une carte pour autant. Et que dire de son sud profond, une terre sise au bout du RER C, ni complètement Île-de-France ni déjà la province, plus tout à fait urbaine sans être vraiment rurale ? De sa sous-préfecture Étampes, « aux confins de l’agglomération parisienne et des grandes plaines de Beauce » selon Wikipédia, on ricane moins que de Versailles et ses royalistes en Barbour ou de Melun immortalisée par Chevallier et Laspalès. Personne ne parle d’Étampes, à vrai dire. Sauf Abel Quentin. C’est donc sans surprise qu’on aura appris l’attribution du volontiers subversif Prix de Flore à son second roman Le voyant d’Étampes : en avoir fait mention dans son titre relève en soi de la subversion pure. Et que dire du rapprochement entre le nom de cette cité tranquille, que Victor Hugo résuma à une « grosse tour entrevue à droite dans le crépuscule au-dessus des toits d’une longue rue », et le scandale secouant l’intelligentsia hexagonale dont il est question dans le roman ? Carrément punk, oui.

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Deux Cents Noirs nus dans la cave, Élie Robert-Nicoud

"Tous les personnages de ce récit ont existé, aucun d’entre eux n’est fictif, les noms n’ont pas été changés, tous les événements décrits ici appartiennent à la réalité. Ce récit n’en est pas moins une fiction. Entre autres, parce que tous ces personnages réels mentent sur la réalité et dans la réalité, à tort ou à raison, avec de bonnes ou de mauvaises raisons."

Ce qu’Élie Robert-Nicoud annonce d’emblée vaut aussi pour l’éditeur : le bandeau orné de la photo de Muhammad Ali qui ceint Deux Cents Noirs nus dans la cave laisse imaginer un énième bouquin consacré au Greatest, rare sujet vendeur en littérature pugilistique, alors qu’il n’est qu’un des nombreux personnages de la fascinante affaire dont il est question, voire un simple élément de son contexte. Évidemment, parce qu’il s’agit de Muhammad Ali, cette assertion n’est pas tout à fait vraie non plus, tant sa présence physique et symbolique pèse sur les 142 pages du récit, une présence à ce point formidable que les apparitions du champion peuvent provoquer toute sorte d’événements abracadabrantesques.

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Le secret de Joe Gould, Joseph Mitchell

Joe Gould est un drôle de petit bonhomme un peu malingre qui hante depuis un quart de siècle les bars, les cafétérias, les restaurants et les bouis-bouis de Greenwich Village. Il se vante parfois, non sans ironie, d’être le dernier représentant de la bohème. « Tous les autres se sont perdus en route, explique-t-il volontiers. Les uns sont au cimetière, d’autres chez les fous, et ceux qui restent travaillent dans la publicité. »

L’incipit du Secret de Joe Gould donne d’emblée la certitude que son auteur tient là un personnage de roman parfait entre tous. Flottant dans d’antiques costumes de prix, ce clochard originaire du Massachussetts devint une célébrité dans son quartier de gens de lettres pour ses manières excentriques et son diplôme de Harvard. On ne saurait rêver plus parfaite incarnation du milieu artistique newyorkais au siècle dernier, avant que Manhattan ne se transforme en parc d’attractions ripoliné à l’usage exclusif des plus fortunés. Notre lutin hirsute se dit frappé d’une aversion pour la propriété privée, source de sa situation précaire. Il avale régulièrement tout le contenu des bouteilles de ketchup laissées à sa portée dans les cafétérias, garnit de mégots son fume-cigarettes et aime nourrir les pigeons de Washington Square qu’il appelle chacun par son nom.