L’affaire Matzneff nous rappela il y a peu combien la littérature pouvait scandaliser. Non seulement la vie amoureuse du précieux nombriliste de Saint-Germain-des-Prés tombait pour l’essentiel sous le coup de la loi, mais en plus le bougre, guère capable d’évoquer autre chose que lui-même, en avait largement fait état dans une œuvre abondante, justifiant ad nauseam ses pratiques de (pas si) réprouvé. Quoi qu’eût pu en décider la maison Gallimard, les retirant de la vente après des décennies passées à les publier, les bouquins eux-mêmes ne méritent pas l’autodafé : ce sont des livres, justement. Leur problème est tout autre. On a beau goûter les plumes élégantes et l’odeur du souffre, l’exhibitionnisme démonstratif du bonhomme, de sortie des lycées parisiens huppés en virées à Manille, tourne assez vite en rond.
Après quoi le scandale, au strict plan artistique, consistait moins en l’évocation satisfaite d’une sexualité déviante qu’en une obstination de disque rayé à s’y adonner. Sans remonter jusqu’à Sade, quiconque s’intéresse au traitement littéraire des appétits charnels défendus serait mieux avisé d’envisager une Gabrielle, disparue il y a vingt ans, capable de faire plus concis, mieux écrit et surtout plus subversif que son quasi homonyme, en particulier dans Le nécrophile. Pourquoi plus subversif ? Parce que le monstre né de l’imagination de Wittkop y est bien plus humain que celui dont Matzneff nous serine la grandeur incomprise, et suscite donc un effroi supérieur. Il n’est pas réductible à un ego se repaissant d’autres à la chaîne. Sans conditions ni espoir d’une réciprocité, il aime. Épouvantablement.