130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

En cours de lecture

La France sous nos yeux, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely

Alors que l’on passe à peine la mi-décembre, la pesanteur des débats et analyses autour de l’élection présidentielle accable déjà l’électeur potentiel, fût-il de bonne volonté. Il est beaucoup question d’egos et au moins autant de calculs politiciens, on évoque quelques premiers éléments programmatiques destinés à faire le buzz et chaque camp en présence pose sur le pays un diagnostic biaisé qui légitime ses propres parti-pris idéologiques – bien des sociologues d’aujourd’hui ne procèdent pas autrement. Or avant de se rallier à l’un ou l’autre des panaches agités sous nos nez d’internautes et téléspectateurs, il importe de comprendre de quel pays il est question, au-delà des perceptions biaisées ou parcellaires qu’on nous assène si volontiers. Charles Péguy faisait sienne l’impérieuse nécessité de « dire ce que l’on voit et, ce qui est plus difficile encore, de voir ce que l’on voit », jamais plus d’actualité qu’en année pré-electorale.

Une telle entreprise requiert de la patience, un esprit de synthèse combiné à la connaissance approfondie des territoires qui font la France, et la volonté d’étayer ses constats par une grande variété de données à la fois précises et originales – de la cartographie des piscines implantées sur la commune de Saint-Maximin-La-Sainte-Baume (83470) ou du taux de pénétration des grands titres de PQR sur Twitter aux extraits des romans des très observateurs (et divergeants) Michel Houellebecq et Nicolas Mathieu. Jérôme Fourquet, auteur de L’Archipel français et directeur du département Opinion à l’IFOP, s’est ainsi associé au journaliste « spécialiste des modes de vie et des questions territoriales » Jean-Laurent Cassely pour proposer La France sous nos yeux, 477 pages et 845 grammes d’analyses et recoupements garantis sans jugements de valeur ni agenda politique inopportun – il appartiendra à chacun d’en tirer ses propres interprétations, opportunes ou non.

En cours de lecture

Terence Crawford vs Shawn Porter : le menton ne saurait mentir

Les Américains les appellent les « championship rounds », ces trois reprises de la fin d’un combat prévu en douze, celles à deux chiffres, les neuf minutes où les règnes s’achèvent ou se perpétuent. Les boxeurs y parviennent dans un état de fatigue intense, les muscles gorgés d’acide lactique, ivres de la douleur des coups encaissés, épuisés nerveusement par l’effort d’attention, le conflit permanent entre réflexes et choix tactiques, le mélange de peur et de haine pure qu’il faut contenir à tout prix...

En cours de lecture

Villebasse, Anna de Sandre

La doucereuse désespérence de ceux qui peuplent nos villes moyennes inspire bien des auteurs d’un pays fasciné par son mal-être contemporain. À défaut d’y trouver des solutions, le génie français consiste à en faire des livres. Gare à la lassitude, cependant : Nicolas Mathieu a déjà trois successeurs au palmarès du Goncourt depuis qu’il fut sacré pour 425 pages consacrées à un vol de mobylette dans la Moselle profonde. Au moins l’auteur de Leurs enfants après eux avait-il su extraire un fameux morceau de littérature de sa poignée de destins tristement ordinaires. Pour accablant que puisse être le gris du réel, il ne justifie pas qu’on en fasse des bouquins ternes. Comme la bourgade éponyme de Villebasse, premier roman d’Anna de Sandre, baigne tout l’hiver dans la lueur bleutée d’une lune surnuméraire, une langue bien particulière éclaire les 37 courts chapitres de ce texte inclassable, empêchant le lecteur de trouver le temps aussi long que la plupart de ses nombreux personnages.

En cours de lecture

Par le trou de la serrure, Harry Crews

Passer à peu près inaperçu à la rentrée littéraire est un défi accessible, comme le destin de plus de cinq cent bouquins l’attesta une fois de plus cette année. Par le trou de la serrure fut de ceux-là, un constat d’autant plus attristant qu’il justifiait que l’édition française poussât un fameux cocorico. Il s’agit d’un recueil de textes de Harry Crews constitué par l’auteur décédé en 2012 et jamais sorti jusque-là. Coup de chapeau à Finitude, donc, pour avoir obtenu l’accord de son héritier en vue de le publier dans la langue d’Alexandre Jardin à la suite du merveilleux Péquenots. Ce dernier consistait en une sélection d’articles parus dans trois grands magazines américains au milieu des années 70 ; en comparaison, Par le trou de la serrure forme un ensemble plus hétérogène de 27 billets écrits sur trois décennies. On s’aperçoit cependant à sa lecture que l’histoire ainsi racontée est d’une formidable cohérence : c’est celle d’un journaliste et romancier formé à l’art de la narration dans un coin où l’on écrivait pas, bouseux du sud revendiqué alors qu’il côtoya des sommités de l’intelligensia yankee, courageux pourfendeur de ses démons via l’écriture et théoricien d’une appréciable philosophie d’homme blanc à l’ancienne fort respectueux du monde qui l’entoure.

En cours de lecture

Tigres à la dérive, Nicolas Zeisler

À dix ans, on gamberge, et le narrateur de Tigres à la dérive sans doute un peu plus que les autres. Son père, patron d’un dojo zen installé sur les bords de Loire, est décédé d’un cancer foudroyant. Sa mère Véra l’entraîne dans le Buenos Aires de ce début d’années 90 afin d’y retrouver Eduardo, son nouveau compagnon, un fameux numéro porté sur la poudre d’escampette, toujours à la poursuite de « femmes, maîtres zen ou les deux ». Ancien disciple du père du gamin, cet Eduardo qualifie le travail de préoccupation bourgeoise ; c’est le cas d’à peu près tout ce qui le contrarie. Pour survivre à ses angoisses, Véra s’accroche à lui comme à la philosophie bouddhiste, avec un discernement approximatif d’adorable paumée, mais reste férocement déterminée à assurer le bien-être de son gamin. Il est hélàs difficile de s’établir durablement à la capitale aux prémices d’une crise économique qui suit la chute de la dictature militaire : Véra et son fils iront poursuivre leur cure d’Argentine dans la douce Rosario chez la soeur d’Eduardo.