130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Mon combat préféré

Qu’est-ce qu’un grand combat ? Telle la grande cuisine, des ingrédients de premier choix convertis en émotion pure. On admire la maîtrise seule, mais elle emmerde un tantinet. Un manque d’équilibre ruine toute l’affaire. Dénuée de technique, la seule intensité n’apporte qu’un plaisir brut. Le contexte, aussi, rehausse les sensations : mieux vaut de l’élégant avec sa douce que du compassé avec son patron. Cette alchimie-là ne se commande pas ; on appréciera d’autant plus l’exceptionnel qu’on aura connu le banal lorsque l’on attendait bien plus. Je n’ai pas vécu mon combat préféré en direct : je l’ai découvert sur Youtube bien des années après qu’il ait eu lieu – en l’occurrence, quelques jours à peine avant mes huit ans. Je savais donc à quoi m’attendre : un combat régulièrement cité parmi les tout meilleurs des années 80. Mais il y a plus, là-dedans. En tout cas pour moi. Je vais tenter de dire pourquoi.

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Presque le silence, Julie Estève

"Presque le silence" , un jour d’attribution du Prix Goncourt, voilà qui résonne avant tout par contraste comme l’accueil réservé au troisième roman de Julie Estève. Pour lui, peu de tambours et nulle trompette à la dernière rentrée d’hiver, martelée à grand coups d’anéantir sur l’enclume Connemara. Au moins les amoureux des belles lettres purent-ils choisir entre bestseller de droite et triomphe éditorial de gauche. Et oui, ami lecteur, tout connard s’empressant d’accoucher d’un papier sur le Houellebecq dont la version audio dure 45 minutes participa au phénomène à sa propre échelle, fût-elle modeste. Symbole édifiant, la librairie où j’obtins une – mémorable – dédicace de l’autrice de Presque le silence a fermé depuis.

Une sorte de Zazie en vacances à la campagne
C’est qu’on est en France, mon bon Monsieur : on a tous un grand-père résistant, on aime le cinéma d’auteur comme les téléfilms imbéciles, et on publie trop de bouquins. Sur ce dernier point, il faut choisir ses batailles. C’est qu’on ne peut pas payer les clips diffusés dans nos halls de gare par JCDecaux pour des douzaines de titres, tout le monde en conviendra. Les coûts du marketing s’envolent, le papier est devenu une ressource rare, on pourrait même un jour rémunérer les auteurs. Choisir ses batailles, donc. Celle pour Presque le silence n’a pas eu lieu.

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Pot-(pas)pourri automnal

L’automne était la seule saison à ne jamais avoir donné lieu à un pot-pourri de brefs comptes-rendus de livres estimables publié sur 130livres.com. C’est désormais chose faite avec des romans déjà commentés sur Instagram tout au long de l’été, rassemblés en un seul papier pour le blog et enrichis d’extraits et d’une version audio. Comme à l’accoutumée, inutile de chercher des points communs entre les livres en question en dehors du simple plaisir de lecture – dans des registres fort différents, comme on s’en apercevra :

  • Blackwater, Michael McDowell
  • City, Alessandro Baricco
  • Nu dans le jardin d’Éden, Harry Crews
  • Les paralysés, Richard Krawiec
  • Lulu, Léna Paul-Le Garrec
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La Plage de Scheveningen, Paul Gadenne

Solitude et maladie ont marqué l’œuvre du valétudinaire Paul Gadenne, qui mourut familier des sanatoriums, et cet isolement aura sans doute contribué à son anonymat d’aujourd’hui, au point d’être considéré comme un secret trop bien gardé par des voix dignes d’être écoutées. Je dois ma découverte de l’auteur au blog de Juan Asensio , aux tweets enfiévrés d’Éric Naulleau ainsi qu’à la table sur laquelle un libraire de renom exposa La Plage de Scheveningen, peut-être son roman le plus fameux – donc parfaitement confidentiel vu de 2022 malgré tout. Qu’il soit publié à l’Imaginaire donne une indication fiable sur son statut (du moins aux yeux d’Antoine Gallimard) et son degré d’exigence, raisonnablement élevés tous les deux. On n’aborde ces lectures-là qu’avec un certain respect mêlé de la crainte légitime de passer à côté… voire en dessous. Qu’en fut-il donc ici ?

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La Maison des Feuilles, Mark Z. Danielewski

C’est donc en pleine crise du papier que Monsieur Toussaint Louverture a publié un bottin de plus d’1,2 kg, « édition remasterisée couleurs » d’une œuvre culte bien plus proche ici de sa forme originale que de la traduction parue en 2003 chez Denoël. Le livre n’impressionne pas seulement par son poids : on sait le soin maniaque porté par l’éditeur à la fabrication d’objets beaux et complexes, et cette Maison des Feuilles aura ainsi constitué pour lui un formidable terrain de jeu. La nature même de son intrigue à tiroirs nous renvoie à l’époque de l’action, celle de la fin des années 90, au temps où Le Projet Blair Witch lançait la mode des « found footages » horrifiques et Ring consacrait les histoires d’œuvres maudites vouées à tourmenter ceux qui les consultaient. L’introduction a valeur de mode d’emploi. Elle est signée Johnny Errand, un tatoueur de Los Angeles nous expliquant comment un invraisemblable manuscrit récupéré dans l’appartement d’un vieillard décédé nommé Zampanò a bouleversé sa vie. Le livre est l’exégèse d’un documentaire introuvable largement considéré comme une fiction, le Navidson record, et Johnny a décidé de le publier malgré les terribles effets qu’il eut sur son quotidien.

Débute alors la fameuse étude de Zampanò, copieuse à l’extrême et riche de nombreuses annexes ajoutées par Johnny ou l’auteur lui-même. Le faux documentaire présumé serait le fait d’un photographe de guerre récompensé par le prix Pulitzer, William Navidson, et traite d’une maison située en Virginie dans laquelle serait apparue une pièce supplémentaire, en fait un dédale inextricable défiant tous les postulats d’Euclide.