130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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La Maison des Feuilles, Mark Z. Danielewski

C’est donc en pleine crise du papier que Monsieur Toussaint Louverture a publié un bottin de plus d’1,2 kg, « édition remasterisée couleurs » d’une œuvre culte bien plus proche ici de sa forme originale que de la traduction parue en 2003 chez Denoël. Le livre n’impressionne pas seulement par son poids : on sait le soin maniaque porté par l’éditeur à la fabrication d’objets beaux et complexes, et cette Maison des Feuilles aura ainsi constitué pour lui un formidable terrain de jeu. La nature même de son intrigue à tiroirs nous renvoie à l’époque de l’action, celle de la fin des années 90, au temps où Le Projet Blair Witch lançait la mode des « found footages » horrifiques et Ring consacrait les histoires d’œuvres maudites vouées à tourmenter ceux qui les consultaient. L’introduction a valeur de mode d’emploi. Elle est signée Johnny Errand, un tatoueur de Los Angeles nous expliquant comment un invraisemblable manuscrit récupéré dans l’appartement d’un vieillard décédé nommé Zampanò a bouleversé sa vie. Le livre est l’exégèse d’un documentaire introuvable largement considéré comme une fiction, le Navidson record, et Johnny a décidé de le publier malgré les terribles effets qu’il eut sur son quotidien.

Débute alors la fameuse étude de Zampanò, copieuse à l’extrême et riche de nombreuses annexes ajoutées par Johnny ou l’auteur lui-même. Le faux documentaire présumé serait le fait d’un photographe de guerre récompensé par le prix Pulitzer, William Navidson, et traite d’une maison située en Virginie dans laquelle serait apparue une pièce supplémentaire, en fait un dédale inextricable défiant tous les postulats d’Euclide.

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La Côte sauvage, Jean-René Huguenin

Lire un phénomène de précocité expose à la déprime autant qu’à l’admiration pour peu que l’on se pique d’essayer d’écrire. Que dire alors de La Côte sauvage, roman de Jean-René Huguenin publié avant qu’il n’atteigne le quart de siècle, soit deux ans avant sa mort dans un accident de Mercedes ? Qu’il est susceptible de procurer, en plus desdites déprime et admiration en quantité appréciable, une authentique mélancolie en imaginant le legs considérable dont nous aura privés cette collision fatale entre Ablis et Rambouillet. Ce qui reste de lui, pour l’essentiel, consiste en un journal de jeune homme en guerre avec son époque préfacé par François Mauriac, des recueils d’articles, textes et correspondances – en 26 ans d’existence, le bougre aura tout de même œuvré – ainsi qu’un unique roman, fameux succès d’édition de l’année 1960. Quiconque connaît un peu la langueur des vacances en Bretagne de la bonne bourgeoisie parisienne peut imaginer qu’en faire l’objet d’une chronique de mœurs ne garantit pas de passionner son monde. De fait, il fallait un talent particulier pour obtenir un résultat à ce point inoubliable.

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Le nécrophile, Gabrielle Wittkop

L’affaire Matzneff nous rappela il y a peu combien la littérature pouvait scandaliser. Non seulement la vie amoureuse du précieux nombriliste de Saint-Germain-des-Prés tombait pour l’essentiel sous le coup de la loi, mais en plus le bougre, guère capable d’évoquer autre chose que lui-même, en avait largement fait état dans une œuvre abondante, justifiant ad nauseam ses pratiques de (pas si) réprouvé. Quoi qu’eût pu en décider la maison Gallimard, les retirant de la vente après des décennies passées à les publier, les bouquins eux-mêmes ne méritent pas l’autodafé : ce sont des livres, justement. Leur problème est tout autre. On a beau goûter les plumes élégantes et l’odeur du souffre, l’exhibitionnisme démonstratif du bonhomme, de sortie des lycées parisiens huppés en virées à Manille, tourne assez vite en rond.

Après quoi le scandale, au strict plan artistique, consistait moins en l’évocation satisfaite d’une sexualité déviante qu’en une obstination de disque rayé à s’y adonner. Sans remonter jusqu’à Sade, quiconque s’intéresse au traitement littéraire des appétits charnels défendus serait mieux avisé d’envisager une Gabrielle, disparue il y a vingt ans, capable de faire plus concis, mieux écrit et surtout plus subversif que son quasi homonyme, en particulier dans Le nécrophile. Pourquoi plus subversif ? Parce que le monstre né de l’imagination de Wittkop y est bien plus humain que celui dont Matzneff nous serine la grandeur incomprise, et suscite donc un effroi supérieur. Il n’est pas réductible à un ego se repaissant d’autres à la chaîne. Sans conditions ni espoir d’une réciprocité, il aime. Épouvantablement.

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Pot-(pas)pourri printanier

Compilation de billets plus brefs qu’à l’accoutumée initialement publiés sur Instagram, le pot-(pas)pourri de 130livres.com a déjà connu des versions estivale et hivernale. C’est le printemps et nulle rentrée ne viendra nous ensevelir avant des mois, aussi une troisième mouture s’avère-t-elle opportune. Ici, pas de fil rouge autre que mon plaisir de lecteur : les géants Jack London et Jim Thompson côtoient deux talentueuses copines à moi, l’Australie rejoint une France et des États-Unis dont il est fort souvent question dans ces pages, on cause boxe, passion irrésistible, amour filial et chasse au gibier bipède à pouces opposables, les éditeurs installés se mêlent aux nouveaux arrivants, l’autofiction cohabite avec le noir, la nouvelle aux accents naturalistes et l’inclassable complet. Rien d’autre que du recommandable, donc du recommandé, présenté ici dans un ordre complètement aléatoire :

La cabane du métayer, Jim Thompson
La mère à côté, Thael Boost
La chasse, Gabriel Bergmoser
Un steak, Jack London
Mira Ceti, Sébastien Doubinsky
L’homme que je ne devait pas aimer, Agathe Ruga

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Confess, Rob Halford

Walsall, début des années 60, au cœur des West Midlands. On surnomme cette région industrielle à l’accent épais le Black country. Pour gagner son école à pied, un môme doit passer à proximité d’une gigantesque fonderie. L’air vicié qu’elle recrache jour et nuit le fait suffoquer, comme il souille les draps qu’on étend dans les jardins alentour. Suffoquer fera longtemps partie du quotidien de ce gamin, même devenu chanteur de l’un des plus grands groupes de heavy metal au monde : il devra presque attendre jusqu’à la cinquantaine pour enfin oser faire son coming-out.

On tient là une intrigue romanesque en diable : si le rockeur peinant à affronter ses démons relève du stéréotype, la collision entre un monde du rock extrême réputé puissamment machiste et le tabou toujours vivace de l’homosexualité au XXe siècle apporte une originalité certaine à cette autobiographie. Car Rob Halford existe bien, même si sa notoriété en France après 50 ans de carrière, comme celle de son groupe Judas Priest, demeure largement restreinte à la tribu des hardos. Le Priest, c’est une glorieuse sidérurgie musicale, un son lourd et métalliquement pur au service de gros riffs entêtants qui lorgnent vers leurs voisins de Birmingham, les pionniers de Black Sabbath. Mais c’est aussi, comme les cousins londoniens d’Iron Maiden, des accélérations qui vous collent au fauteuil, le dialogue entre deux guitares lead se partageant solos et mélodies, et une signature vocale extraordinaire. En termes génétiques Rob Halford est une harpie, la stridence de ses hurlements l’atteste, capable toutefois d’adapter avec talent sa voix à quantité de registres plus humains – le tout avec un phrasé aussi British qu’une part de Christmas pudding.