130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Le Sang noir, Louis Guilloux

La saison s’y prête bien : abordons aujourd’hui un grand lésé de l’histoire du prix Goncourt, ce dont un fameux aréopage de grands auteurs – Gide, Malraux, Dorgelès, Aragon… – fit un scandale et son éditeur Gallimard un argument commercial : Le Sang noir de Louis Guilloux. Épais de 631 pages dans sa version Folio, le roman parut en 1935, soit un temps où l’Europe s’apprétait à illustrer avec panache le peu de leçons qu’elle aura tirées de la Grande Guerre, contexte de la présente intrigue. L’atypie fondamentale du Sang noir, ainsi que son caractère profondément subversif, consiste à ne jamais visiter les tranchées ou affronter la mitraille allemande : c’est loin derrière la ligne de front que se pose le regard du romancier, dans une ville moyenne de Bretagne qui ne sera jamais nommée – à titre indicatif, Guilloux était natif de Saint-Brieuc. On y trouve un camp de prisonniers allemands, une jeunesse changée à jamais par la boucherie héroïque ou sur le point d’y partir, toutes sortes d’immigrés de pays alliés ravagés par les combats, des femmes plus que jamais contraintes de faire tourner la boutique sans trop le faire remarquer, et un fameux bestiaire de bourgeois feignant le patriotisme à tout crin pour mieux s’intéresser à leurs nombrils alors que le monde entier s’effondre autour d’eux.

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Une cathédrale à soi, James Lee Burke

Comme promis dans le billet consacré à New Iberia blues, le tome prédédent de la série, à chaque été son Dave Robicheaux. Un an de plus, le prolifique octogénaire James Lee Burke m’aura donc procuré de quoi agrémenter mes heures de transat, et je goûte ce rituel avec le plaisir teinté d’urgence qu’on éprouve à honorer les traditions précaires. Il y aura des années sans nouveau Robicheaux, qu’il faudra même se souhaiter nombreuses. Depuis longtemps déjà, Burke joue avec la chronologie de sa saga pour que ce bon vieux Dave reste un flic présentable et puisse enchaîner bagarres et fusillades sans s’encombrer d’un déambulateur. Si le lecteur historique se sent grisonner d’un épisode à l’autre, « Belle-Mèche » subit lui-même une cure de jouvence : il est ici question d’une Amérique pré – 11 septembre et Katrina, donc d’un Robicheaux jeune et fringant sexagénaire.

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L'âme de Napoléon, Léon Bloy

Au moins le bicentenaire de la mort de Napoléon m’aura-t-il donné l’occasion de lire une première oeuvre de Léon Bloy, après l’avoir longtemps connu de réputation et redouté que la rencontre devienne de plus en plus risquée : avec l’âge me vient le goût d’une certaine modération, dont on ne saurait dire qu’elle caractérisât jamais le polémiste et romancier originaire de Périgueux. Face au risque bien réel de ne pas vibrer à l’unisson de l’éloge mystique qu’est L’âme de Napoléon, je me convainquis que la plume « bloyenne » – adjectif non valable au scrabble mais utilisé par ses connaisseurs -, flamboyante et acérée, pourrait à elle seule me convaincre de poursuivre ma découverte de l’auteur du Désespéré. À supposer, naturellement, d’éviter en chemin l’une de ces difficultés d’interprétation de son oeuvre qui donnent toujours matière à controverse au XXIe siècle. Je dois à ce titre saluer l’éclairage qu’apporte ici le dense avant-propos de François Angelier intitulé La Face de Dieu dans les ténèbres. Il resitue L’âme de Napoléon dans la très abondante littérature se rapportant à l’Empereur, remarquable par son universalité, du pamphlet à l’hagiographie. De toute évidence, Léon Bloy a beaucoup lu sur le sujet et son oeuvre en fut imprégnée depuis ses débuts.

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The Dirt, Mötley Crüe

L’amateur éclairé lit des biographies de rock stars pour un shoot prolongé de sex, drugs & rock n’roll, dont il retient essentiellement les deux premiers aspects. Saluons donc le pragmatisme du quatuor angeleno de Mötley Crüe, accompagnés du prête-plume Neil Strauss, à l’heure de façonner le récit monumental de leurs 20 premières années de carrière : il est fort peu question de musique dans les 583 pages de The Dirt, référence incontestée du genre qui aurait aussi pu s’intituler Outrances et conséquences. Réglons ainsi d’emblée la question musicale avant de se frotter à tout ce qui suinte ou qui croustille : on doit à Mötley Crüe l’explosion du glam metal au début des années 80. Au glam rock de la décennie précédente, le courant emprunta maquillage, laque à cheveux, décadence du propos et refrains catchy d’inspiration pop ; au heavy metal, le son lourd et les amplis poussés à 11...

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Vente à la criée du lot 49, Thomas Pynchon

À supposer qu’il passe au travers d’un roman culte, le lecteur chevronné devra assumer d’être insincère – s’il prétend le contraire avec aplomb, ce qui arrive parfois, admettons-le – ou de passer pour un benêt bas du front – au cas où il ose affirmer « bah là j’ai pas compris ». Vente à la criée du lot 49 m’aura au moins épargné ce dilemme, tant son auteur semble peu se soucier qu’une histoire à ce point extravagante puisse être tout à fait comprise. Par comprendre, le Larousse entend « Saisir par l’esprit, l’intelligence ou le raisonnement quelque chose, le sens des paroles, des actes de quelqu’un ». La pleine compréhension d’un collage aussi baroque d’éléments signifiants que le deuxième roman de Thomas Pynchon relève de l’absolue gageure, à plus forte raison pour qui n’a pas la pleine maîtrise du contexte historique et culturel de la Californie des années 60...