130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Les héritages, Gabrielle Wittkop

Nous sommes en 1895 et un proviseur, Célestin Mercier, s’endette copieusement pour qu’on lui construise une vaste demeure néoclassique avec vue sur la Marne. L’entrepreneur s’avère un margoulin, qui le plume avant de fuir pour le Brésil. Le couple Mercier dispose d’à peine le temps de baptiser la maison « Séléné » que Célestin, ruiné, se pend dans son attique. Un spéculateur la rachète aux enchères. Il la loue à Félix Méry-Chandeau, un riche homme d’affaires âgé et désireux de se retirer de la vie parisienne ; ses uniques passions sont les livres et la roulette russe. La conscience du bonhomme est lestée d’un meurtre, celui de son oncle frappadingue, qui lui valut d’hériter de sa fortune. Méry-Chandeau ne finit pas emporté par son hobby le plus dangereux mais par son empoisonneuse de gouvernante, pour de sombres motifs connus d’elle seule… Jusqu’en 1995, Les héritages narrera la vie des nombreux humains de passage entre les murs de Séléné.

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Fortitude, Gojira

Le rock français a ceci de commun avec la cuisine anglaise et l’humour allemand qu’il n’est pas de ces traditions qui auront grandi leur pays aux yeux du monde. On simplifie, bien sûr ; disons plus prosaïquement qu’il fonctionne moins bien à l’export que les crus classés du Médoc ou les avions de combat. L’adage s’est longtemps vérifié dans le sous-ensemble particulier du rock extrême, à l’exception récente et remarquable du groupe Gojira. Non pas que le sympathique quatuor occitan à la conscience écologique aussi pointue que son death métal technique eût suscité autant de raz-de-marée planétaires à la sortie de ses six premiers albums, mais enfin Gojira avait creusé un sillon musical bien particulier et acquis une vraie reconnaissance dans le petit monde des hardos...

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Au-dessous du volcan, Malcolm Lowry

Entreprendre de chroniquer un classique présente le risque de trop vouloir s’en montrer à la hauteur, voire de s’y mesurer. Pas sur le plan de l’écriture – il faudrait être sacrément benêt -, mais dans sa propre compréhension de l’oeuvre. On s’efforcerait ainsi de cocher toutes les bonnes cases pour montrer qu’on aurait parfaitement cerné le bazar, collecté tous les indices semés par l’auteur et élucidé le moindre des mystères soumis à notre sagacité. L’affaire est doublement impossible lorsque l’on s’attèle à la recension d’Au-dessous du volcan, en dépit de l’effort de pédagogie excentrique consenti par l’écrivain dans sa préface. Cette dernière constitue en soi un morceau d’écriture bien particulier : Malcolm Lowry y livre quelques clés de compréhension du texte sous forme de réponse à l’un des éditeurs ayant exigé d’amples corrections avant de le publier. Dieu sait s’il reçut en nombre des requêtes approchantes.

Une authentique histoire d’ivrogne

Malgré de tels éclaircissements, comme l’importance du nombre « 12 » dans la construction du roman – il renvoie à rien de moins que la Kabbale -, il reste vain de prétendre démêler dans son intégralité l’entrelacs complexe des métaphores et signes divers qui abondent au fil des… douze chapitres. La matière dense d’Au-dessous du volcan est d’autant plus difficile à pénétrer qu’elle est indissociable de son sujet, très ancré dans l’art de son auteur et sa vie en général : « écrire enfin une authentique histoire d’ivrogne », comme il l’affirme en introduction. En tant que lecteur, on peut s’émerveiller de la réussite de son projet. Jamais l’ivresse ne fut mieux décrite du point de vue du pochard. Mais le sens profond du propos de Lowry et de l’errance de son protagoniste, lui, échappera au moins en partie à quiconque n’aura pas vécu leur exacte expérience… même ceux qui croient bien connaître la compagnie de la gnôle, dont je suis.

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José Nápoles, The shape of butter

L’importance accordée par le landerneau pugilistique aux 50 ans du premier Ali vs Frazier dit bien sa nostalgie du temps où un gala de boxe pouvait figer l’Amérique entière, et ses secousses sismiques atteindre le moindre recoin de la planète. Le boxing buisness a depuis accompli la gageure de vendre toujours plus de pay per views tout en intéressant de moins en moins l’individu lambda. Si ce 8 mars 1971 fut bien la date d’un « combat du siècle » qui méritait l’appellation, il reflète aussi, rétrospectivement, une époque où l’église se dressait fièrement au milieu du village de l’escrime de poings : ce marigot-là était certes dense de magouilles en tout genre, elle font partie du grand barnum pugilistique depuis sa création, mais enfin on comptait moins d’une cinquantaine de champions du monde en activité – c’est grosso modo le nombre actuel de titres attribués par la seule WBA – et ceux qui arboraient les ceintures en question étaient bien les meilleurs boxeurs du lot.

Chez les lourds, le régent Frazier était donc devenu roi légitime en terrassant Ali. Non sans renoncer à son paquet de clopes quotidien, Niccolino Locche enfumait copieusement ceux qui convoitaient sa ceinture WBA des super-légers. Carlos Monzon avait conquis la couronne de champion unifié des moyens aux dépens de Nino Benvenuti à l’issue d’un duel d’anthologie. En mi-lourds, Bob Foster cassait des gueules de challengers WBA-WBC avec une régularité de métronome à long balancier. Et là où un despote n’écrasait pas la concurrence de ses gants plus minces qu’aujourd’hui, on sentait poindre une relève de prestige : un certain Roberto Duran fonçait vers une chance mondiale en légers, le Brésilien Eder Jofre poursuivait un patient comeback qui le verrait triompher en plumes, et son successeur mexicain chez les coqs Ruben Olivares récupérerait son dû moins d’un mois après Ali vs Frazier… Au moins « El Puas » – Le Pou – Olivares avait-il temporairement cédé son sceptre à un dur de dur, son compatriote Chucho Castillo.

Dans ce tableau d’exception, la mythique catégorie des welters avait de quoi susciter un froncement de sourcils : son champion unifié Billy Backus n’avait pas tout à fait le pedigree d’un grand. Celui qui remporta sept de ses dix-neuf premiers combats professionnels était certes le neveu d’un certain Carmen Basilio, adversaire de Sugar Ray Robinson sacré en welters puis en moyens, fameux pour protéger ses poings avec sa tête – imaginez qu’en comparaison des siens les combats d’un Erik Morales font figure d’aimables parties d’échecs. Après trois revers consécutifs aux points, Backus était allé jusqu’à raccrocher les gants à l’âge de 22 ans. Il fut bien avisé de reprendre sa carrière une trentaine de mois plus tard par pure nécessité financière : l’honnête palmarès qu’il se forgea dans la foulée lui permit d’atteindre la 10eme place mondiale et d’attirer ainsi l’attention du cador de l’époque, en quête d’un challenger pour une fois pas trop exigeant : le Cubain-devenu-Mexicain José Nápoles, champion unifié des moins de 147 livres...

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Marvelous Marvin Hagler, 1954 - 2021

J'ai choisi Marvin Hagler comme idole sportive parce que je ne lui ressemblais pas du tout. L'affaire a pris du temps : préadolescent, il me fascinait comme les méchants dans les films, je me rappelle ses photos patibulaires dans l'Équipe Magazine, crâne lustré et deltoïdes saillants, les images des combats d'une violence irréelle attrapées chez les voisins à décodeur Canal, pour tout dire l'aura d'invincibilité maléfique du personnage. Le 7 avril 1987 au matin, happé comme il se doit par le parfait storytelling du combat contre Ray Leonard, j'appris avec soulagement devant mon bol de Nesquick que le camp du bien avait fini par triompher, que le tyran sanguinaire était déchu de ses couronnes, que le gentil avait gagné. Exit la brute épaisse, et générique de fin.

Il m'a fallu un peu de temps pour comprendre pourquoi j'aimais tant la boxe, et, à mesure que j'en appris sur son compte, pourquoi je révérais Marvin Hagler en particulier.