130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Tous les hommes du roi, Robert Penn Warren : Round 2

Je relis peu les livres, même mes préférés. La faute à ma submersion chronique sous un mètre cube de bouquins à découvrir, nouveaux ou pas, un problème partagé par beaucoup. J’ai d’ailleurs commencé à écrire des billets sur mes lectures avant même de les publier, pour moi seul, par simple souci de me rappeler ce que j’en avais retenu sans avoir à m’y coller une seconde fois. Avancer en âge rend plus délicat encore le choix de relire un bouquin, à mesure que l’on prend conscience de la finitude du temps que l’on consacrera – entre autres – à bouquiner, alors que chaque jour qui passe laisse un peu plus conscient de l’infinité des titres qu’on prendrait plaisir à découvrir… pour ne parler que des livres déjà écrits. Bref : je relis peu les livres, même mes préférés. Ce qui ne m’empêche pas de renâcler à me séparer des plus oubliables des miens, et de vouer aux gémonies Maria Kondo et sa règle insane d’une bibliothèque à trente volumes maximum. Et non, je n’ignore rien de ce que Freud nous apprend des collectionneurs. Passons...

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Absolument ciselés, diablement crétins : les 16 albums d’ACDC

Depuis 1973, avec l’obstination de l’artisan sûr de son rustique tour de main, ACDC s’applique à faire du ACDC. Très ancrée dans la culture pop, leur oeuvre est pour beaucoup un éternel empilage de gros riffs de guitares interchangeables sur lequel couine une voix abrasive, cadencés par le « poum – tchac » définitif de la batterie. Les zélateurs d’Acca Dacca, eux, traquent une alchimie sublime sous le simplisme de façade ; l’écoute de chaque galette, du blues de pubs au hard rock d’arènes combles, est la quête d’une sensation bien particulière, lorsque la conscience se dissout dans le rythme binaire des cordes et percussions tandis que s’y substitue une animalité libérée, nourrie du son essentiel et du ton primitif de l’ensemble. Bref, pour que le bazar fonctionne, un album d’ACDC doit être à la fois ciselé à l’extrême et crétin comme tout.

Le premier extrait de Power Up, le 17eme album studio d’ACDC annoncé pour le 13 novembre, s’intitule Shot in the dark. À défaut de subjuguer, il donne aux fans de quoi se rassurer : un single à la fois attendu au possible dans sa composition et très rigoureux dans l’exécution et la production. Ça swingue et ça sonne juste. Aléluia.

De 1974 à 2014, les 16 disques précédents offrirent autant de modulations subtiles – oui, l’adjectif peut dérouter – autour du principe de base de la maison Young, lui-même aussi immuable que la formule du Coca-Cola. L’oreille avertie y distinguera des différences sensibles, au gré des changements d’époque, de lineup, d’échelle… et d’inspiration. Le classement qui suit est éminemment subjectif et me vaudra peut-être deux ou trois jets de cailloux. Il se veut surtout l’occasion de réviser ses classiques en attendant Power Up.

Let there be rock.

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C'est comme ça, et c'est tout

Duhaupas ne les prend plus.

Voilà ce qu’on peut retenir de la triste soirée d’hier, dans une Paris La Défense Arena aux allures d’Étoile Noire à l’abandon, distanciation oblige. Le menton, en boxe, tient du talon d’Achille ou du super-pouvoir. On peut se muscler les deltoïdes, on peut s’entraîner à accompagner ce qui vient, mais au bout du compte certains les prennent et d’autres pas. Il les prenait, Duhaupas, et pas qu’un peu. Deontay Wilder lui en mit assez pour coucher cinq ou six de ses victimes ordinaires, sans même obtenir un knockdown. Et la droite de Wilder, c’est le baiser de la mort, un punch de dessin animé dont la terrifiante efficacité ne s’explique pas mieux qu’un menton en tungstène. C’est comme ça, et c’est tout.

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Yoga, Emmanuel Carrère

Samedi dernier, j'eus le plaisir de participer à un échange en ligne passionnant, directement inspiré des apéros Zoom en temps de confinement, avec un poète italien. Dans son remarquable premier roman intitulé Je suis la bête apparaissent, gravés sur une table, deux mots lapidaires et surprenants : "Andrea suce". Interrogé sur leur sens profond - qu'il se prénomme lui-même Andrea (Donaera) suscitait une curiosité légitime -, l'écrivain évoqua sa tendence naturelle à l'insatisfaction dès qu'il tente d'évaluer son propre travail, et le besoin concomitant de se rabaisser aux yeux d'autrui. Avant d'ajouter, sourire en coin pendant la traduction : "Enfin, pas comme Emmanuel Carrère, vous comprenez ?"

Rappeler l'anecdote a au moins deux mérites. Le premier consiste à ainsi rendre hommage à l'auteur de Yoga, dont l'habitude est justement de se mettre en scène quel que soit le sujet qu'il aborde - ici, j'entame la chronique de son dernier livre en glissant l'air de rien que je ne passe pas mes week-ends entiers devant NRJ 12. Le second est de corroborer une intuition : comme celle de son talent, la réputation de l'ego d'Emmanuel Carrère a largement dépassé nos frontières. Or le sacripan en fait carrément le sujet de son dernier opus. Qu'on ne s'y trompe pas : comme de juste, Yoga parle beaucoup de yoga, ou plutôt de méditation, activité essentielle et salvatrice dont il est l'une des voies d'accès. Mais le propos d'Emmanuel Carrère, qui comptait à l'origine dédier au sujet un "petit livre souriant et subtil" bien dans son époque, dérive rondement vers une explication étoffée de son propre attrait pour la discipline, et des failles intimes qu'elle lui aura permis de résorber, ou pas du tout, ou du moins pas tout le temps.

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Histoires de la nuit, Laurent Mauvignier

635 pages pour raconter un fait divers concentré sur une seule journée, qu'une écriture sèche typique du roman noir traditionnel prendrait quatre fois moins de mots à décrire : tel est le projet littéraire de Laurent Mauvignier avec Histoires de la nuit. Dès l'incipit, l'évidence de ses intentions nous saisit, puisque la première phrase s'étire jusqu'en page 2. Sinueuse, tout en juxtapositions, elle reste fluide et dépourvue d'inutiles ornements. Il s'agit d'abord de donner un tempo ; si l'intrigue avancera avec une lenteur des plus calculées, la lecture elle-même demeurera rythmée par des enchaînements incessants de propositions courtes. On n'atteint chaque point final qu'après une progression, un effort de narration consistant à extraire une vérité toujours plus profonde des descriptions et des développements de l'intrigue. Quasiment absent, le dialogue, troisième pilier de la fiction, n'introduit aucune rupture dans le flux à la fois dense et dynamique de ces Histoires de la nuit...