130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Yoga, Emmanuel Carrère

Samedi dernier, j'eus le plaisir de participer à un échange en ligne passionnant, directement inspiré des apéros Zoom en temps de confinement, avec un poète italien. Dans son remarquable premier roman intitulé Je suis la bête apparaissent, gravés sur une table, deux mots lapidaires et surprenants : "Andrea suce". Interrogé sur leur sens profond - qu'il se prénomme lui-même Andrea (Donaera) suscitait une curiosité légitime -, l'écrivain évoqua sa tendence naturelle à l'insatisfaction dès qu'il tente d'évaluer son propre travail, et le besoin concomitant de se rabaisser aux yeux d'autrui. Avant d'ajouter, sourire en coin pendant la traduction : "Enfin, pas comme Emmanuel Carrère, vous comprenez ?"

Rappeler l'anecdote a au moins deux mérites. Le premier consiste à ainsi rendre hommage à l'auteur de Yoga, dont l'habitude est justement de se mettre en scène quel que soit le sujet qu'il aborde - ici, j'entame la chronique de son dernier livre en glissant l'air de rien que je ne passe pas mes week-ends entiers devant NRJ 12. Le second est de corroborer une intuition : comme celle de son talent, la réputation de l'ego d'Emmanuel Carrère a largement dépassé nos frontières. Or le sacripan en fait carrément le sujet de son dernier opus. Qu'on ne s'y trompe pas : comme de juste, Yoga parle beaucoup de yoga, ou plutôt de méditation, activité essentielle et salvatrice dont il est l'une des voies d'accès. Mais le propos d'Emmanuel Carrère, qui comptait à l'origine dédier au sujet un "petit livre souriant et subtil" bien dans son époque, dérive rondement vers une explication étoffée de son propre attrait pour la discipline, et des failles intimes qu'elle lui aura permis de résorber, ou pas du tout, ou du moins pas tout le temps.

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Histoires de la nuit, Laurent Mauvignier

635 pages pour raconter un fait divers concentré sur une seule journée, qu'une écriture sèche typique du roman noir traditionnel prendrait quatre fois moins de mots à décrire : tel est le projet littéraire de Laurent Mauvignier avec Histoires de la nuit. Dès l'incipit, l'évidence de ses intentions nous saisit, puisque la première phrase s'étire jusqu'en page 2. Sinueuse, tout en juxtapositions, elle reste fluide et dépourvue d'inutiles ornements. Il s'agit d'abord de donner un tempo ; si l'intrigue avancera avec une lenteur des plus calculées, la lecture elle-même demeurera rythmée par des enchaînements incessants de propositions courtes. On n'atteint chaque point final qu'après une progression, un effort de narration consistant à extraire une vérité toujours plus profonde des descriptions et des développements de l'intrigue. Quasiment absent, le dialogue, troisième pilier de la fiction, n'introduit aucune rupture dans le flux à la fois dense et dynamique de ces Histoires de la nuit...

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Les Dynamiteurs, Benjamin Whitmer

Cherchez Benjamin Whitmer sur la version anglo-saxonne de Wikipédia et vous n'y trouverez qu'un homonyme du romancier, catcheur professionnel à la retraite, alors que sa page sur la version française existe bien. Voilà qui illustre la popularité particulière de l'auteur des Dynamiteurs auprès des lecteurs français, confirmée par ce fait étonnant : ni ce dernier roman, ni le précédent Évasion ne sont encore sortis aux États-Unis. On pourrait attribuer le phénomène au beau travail de Gallmeister lorsqu'il s'agit de choisir et défendre ses textes, comme d'en faire de beaux objets. Ayant découvert l'auteur avec son premier roman Pike, je hasarderai ici une seconde hypothèse : que la faculté de Whitmer à proposer des oeuvres ambitieuses du point de vue formel, tout en maîtrisant impeccablement les règles incontournables de la littérature de genre, serait plus du goût du public français que de l'américain. Je manque d'arguments immédiats pour le prouver, mais fort heureusement j'écris le présent billet sans personne pour me contredire...

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Nickel Boys, Colson Whitehead

Entre les héros des deux romans de Colson Whitehead récompensés par le prix Pulitzer de la fiction, les similitudes abondent. Deux adolescents afro-américains abandonnés par leurs parents, nés dans un sud profond où la loi les discrimine pour leur couleur de peau, enfermés et exploités dans un lieu de non-droit dont les responsables font tout pour les briser, hésitant entre discrétion et désir d'émancipation. Plus d'un siècle sépare pourtant l'histoire de Cora, l'esclave d'Underground railroad, de celle d'Elwood, incarcéré dans la sinistre institution qui donne son nom à Nickel Boys. Le diptyque que composent ces oeuvres indissociables, à la seule lecture des quatrièmes de couverture, semble poser le constat suivant : c'est à un rythme bien inférieur à celui du pays entier qu'évolue le statut des Noirs des États-Unis d'Amérique.

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Pot-(pas)pourri estival

Je suis un chroniqueur séquentiel à l’extrême. Ce qui signifie que j’alterne imperturbablement lectures et rédactions des papiers correspondant, un cycle que ne viennent guère perturber que les vacances d’été. La satisfaction d’avoir pété la gueule à mon ambitieuse pile à lire de juillet-août pèse peu de chose face à l’angoisse de voir s’accumuler les retards d’écriture. J’ai beau avoir poussé le courage jusqu’à taper certaines chroniques sur téléphone, mollement étalé sur un transat, cinq titres dignes d’un compte-rendu attendent toujours le leur alors que se profile la rentrée littéraire. Gasp. Le défi d’aujourd’hui consiste donc à dire ce que j’ai pensé de chacun de ces bouquins en noircissant moins que les trois copies doubles habituelles. Ceux qui suivent n’en sous-estimeront pas la difficulté. Voici donc des papiers succincts en diable sur – par ordre de lecture – cinq bouquins dignes d’attention :

- Je dénonce l’humanité, de Frigyes Karinthy
- Les effarés, d’Hervé Le Corre
- Lambeaux, de Charles Juliet
- Prosper à l’oeuvre, d’Éric Chevillard
- Le facteur humain, de Graham Greene