130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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404, Sabri Louatah

404, ce fut l’archétype de la Peugeot robuste et bon marché, si prisée des immigrés de première et deuxième génération d’après la Décolonisation. Comme beaucoup, le père de Kader a fait durer la sienne plusieurs vies, jusqu’à pouvoir aider son fiston à déménager de Lyon au début des années 2000. À fuir, plutôt, chassé par une obscure rumeur de viol sur la personne d’une camarade de prépa. Au Lycée du Parc, il a croisé Allia, première en tout même en gym. Allia, la sculpturale Marianne au teint cuivré, parfaite incarnation de la méritocratie républicaine, déteste les injustices qui frappent ceux qui lui ressemblent et ira à Polytechnique sans que s’éteigne la colère en elle. Elle a soutenu Kader envers et contre tout, malgré son indéfectible assurance de petit con. Dans son ombre majestueuse, il y avait Ali, un de ces ternes camarades de classe dont on bute sur le nom cinq ans après, éperdument amoureux d’elle. Le roman est narré de son point de vue.

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Entretien avec Frédéric Roux, auteur de Lève ton gauche ! et Comptés debout

Ceux qui ont lu le billet consacré au dyptique Lève ton gauche ! et Comptés debout, publié chez l’Arbre vengeur, se rappellent l’enthousiasme suscité ici par son auteur Frédéric Roux. Respecté par ceux qui savent, peu friand des spotlights, il fait partie des rares écrivains français à s’être colletés avec ambition, persévérence et compétence au Noble Art. Une inclinaison qui lui valut notamment de décrocher le Prix France Culture-Télérama 2013 pour Alias Ali, imposante compilation de témoignages et citations rééls ou fictionnels sur le Greatest. Son oeuvre dépasse de loin le cadre strict de la littérature pugilistique – d’ailleurs, la boxe constitue pour lui « un vecteur pour parler du reste » -, comme l’illustrent entre autres Le désir de guerre, démontage en règle de notre mémoire sélective de la (pas si) Grande Guerre, ou un Éloge du mauvais goût au titre savoureusement explicite.

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La bouche pleine de terre, Branimir Šćepanović

Bouquin culte d'un auteur serbe, superbement édité en France par une maison pointue à souhait, qualifié de chef d'oeuvre par des blogueurs estimables entre tous et "livre préféré, tout court" de mon libraire : force est d'admettre que La bouche pleine de terre m'intimidait un chouïa. Un sentiment doublé d'une crainte, celle de louper le rendez-vous, faute d'avoir le profil requis. Car on décrit volontiers cette oeuvre comme une fable toute kafkaïenne, et mâtinée de poésie. Las ! J'admire Kafka, mais confesse qu'il me laisse tiède, et mon âme de poète aurait éclos depuis longtemps si le germe en existait. Au moins la lecture de ces 128 pages - en incluant un second texte, La mort de M.Golouja, et la postface - ne tournerait pas à l'épreuve d'endurance pour qui, comme moi, finit toute lecture aussi scrupuleusement que ses légumes. Au pire, je pourrais toujours en ricaner.

La bouche pleine de terre a donc le format d'une nouvelle, narrée d'un paragraphe à l'autre selon deux points de vue bien distincts. Le premier, en italique et livré à la troisième personne, est celui d'un homme en errance dont on ne connaîtra pas le nom. Accablé par la nouvelle de sa maladie incurable, il a quitté la ville en train, puis fui l'intolérable promiscuité de son wagon en descendant au milieu de nulle part, dans un paysage arboré et montagneux. Son intention, apprend-on très tôt, consiste à se donner la mort. Cherchant l'endroit propice, il court au hasard.

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Lève ton gauche ! et Comptés debout, Frédéric Roux

Deux pépites d’un même auteur, qui causent de Noble Art et dont les couvertures reproduisent un dyptique – signé Didier Paquignon – d’une violence achevée, comme si les bouquins se mettaient sur la tronche : autant dire que L’Arbre vengeur a le sens de la mise en scène. C’est visuel, c’est du brutal, mais pas seulement. Entre Lève ton gauche !, roman manifestement inspiré de l’expérience pugilistique de Frédéric Roux, et Comptés debout, compilation des meilleures anecdotes recueillies par l’intéressé sur les plus grands champions de tous les temps, ça castagne aussi pour savoir qui dit la vérité. Car la boxe est une inépuisable pourvoyeuse d’histoires, qu’elles adviennent hors du ring ou entre les cordes, et ses plus grands spécialistes s’appliquent rarement à isoler les faits du mythe.

Peu importe, au fond, si ce qu’on rapporte de Willie Pep, Jack Johnson ou Muhammad Ali est bien arrivé ou pas : on y croit parce qu’ils sont différents. Parce que le commun des mortels ne comprendra jamais vraiment celui qui met les gants pour boxer ses semblables, souvent pour pas un rond. Il est extraordinaire, au sens premier du terme ; ainsi, il fascinera toujours, et l’on croira sans peine à son étrangeté. Lequel des deux livres en dit donc le plus sur ces gars-là, de l’oeuvre de fiction ancrée dans le réel, ou du recueil de citations plus ou moins bidonnées ?

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De l'Assassinat considéré comme un des Beaux-Arts, Thomas de Quincey

Imaginez une société d’amis des Beaux-Arts dans le Londres de l’époque victorienne. Boiseries finement ouvragées, moquette épaisse, rayonnages entiers de belles reliures, montres à gousset, costumes en tweed de Savile Row, moustaches taillées au millimètre, cannes à pommeau d’argent, et sans doute quelques monocles. Une assemblée virile entre-deux-âges fait bombance, vide des tonneaux de sherry, rigole comme une bande de galopins sous le vernis bourgeois, et parfois même discute de la passion qui les réunit. On écoute des discours pleins d’emphase et d’érudition, on rivalise d’éloquence quand s’ouvrent les débats, on entonne des chants en latin, on ne passe guère loin du dérapage quand l’alcool a pris le dessus. Le tableau dressé s’avère d’un clacissisme achevé, à un détail près : plutôt que de sculpture ou de poésie, ces messieurs parlent de meurtre avec préméditation.