130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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L'architecture, Marien Defalvard

Le 26 décembre 1991, on apprend la dissolution de l’URSS. Clermont-Ferrand est de ces villes de France dont nombre de rues, places et équipements publics furent nommés en son hommage et dont le bâti depuis la dernière guerre reflète le mieux les austères parti-pris formels. Un architecte parisien doit venir y séjourner ; on sait de lui qu’il a passé son enfance dans la préfecture auvergnate. L’homme doit y participer au concours organisé pour la conception du nouveau palais de justice. Pendant les semaines qu’il y passera, solitaire la plupart du temps, entre sa chambre d’hôtel deux étoiles, ses déambulations dans la ville transie de froid et quelques réunions avec les commanditaires du marché public, il consignera ses réflexions dans un journal : elles constituent l’essentiel des 300 pages de L’architecture.

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L'Anomalie, Hervé Le Tellier

En janvier 2021, un événement insensé bouleverse les vies d’une poignée d’hommes et de femmes, tous passagers d’un train de banlieue en provenance de Saint-Nom-La-Bretêche. Le 17h08 arrive à Saint-Lazare avec à son bord leurs parfaits alter ego du 19 octobre 2020. Parmi eux, Antoine rentre chez lui comme si de rien n’était, sauf qu’à la table du salon c’est un autre lui-même qui fignole un nouveau billet pour 130 livres.

Pour évacuer l’instant de légitime stupéfaction, les deux Antoines – on conviendra de les appeler « Octobre » et « Janvier » par commodité – s’entendent aisément sur l’ouverture d’un Côtes-du-Rhône (« Force majeure. Tant pis pour ma saleté de dry january. » « Attends, on est le 19, bel effort déjà. » « Tu imagines bien que je n’ai pas commencé à minuit pétantes le soir du non-réveillon« ). Sur un ton étrangement placide, les voici qui commentent les faits remarquables des trois derniers mois loupés par une moitié d’entre eux. Leurs échanges courtois sont ponctués de soupirs profonds suivis de « Enfin, tu vois le truc« , « Putain de sciatique« , « Bacri, quoi » ou « C’est pas comme si les Ricains avaient le cul sorti des ronces. » Jusqu’à ce que tombe la question :

JANVIER : Qui a eu le Goncourt, au fait ?

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American Dirt, Jeanine Cummins

« L’une des premières balles surgit par la fenêtre ouverte, au-dessus de la cuvette des toilettes devant laquelle se tient Luca »

Il est des bouquins dont l’incipit vous happe si brutalement que leur chronique elle-même s’affranchit d’une intrduction originale. American Dirt s’ouvre ainsi sur le massacre auquel échappent par miracle Lydia, libraire à Acapulco, et son fils Luca âgé de 8 ans. Parce que leur mari et père Sebastián a écrit sur le chef du cartel local des Jardineros, des tueurs s’immiscent en pleine fête de famille et liquident trois générations de convives. Lydia connaissait le commanditaire de la tuerie, Javier alias « La chouette », comme client de sa boutique. Qu’ils soient devenus amis n’aura donc rien changé : elle sait d’emblée qu’il faut fuir le Mexique dans l’instant, sans enterrer ses morts ni même repasser par chez elle, considérant qu’une police à la solde des Jardineros ne lui sera d’aucune aide. Le répit qu’offrent à Lydia sa débrouillardise et sa bonne étoile ne dure qu’un temps. Elle découvre, une fois rendue à Mexico, que le seul moyen de quitter le pays avec son fils sera d’emprunter La Bestia, le train de marchandises auquel s’arrime toute la misère de l’Amérique Latine qui rêve d’el norte quel qu’en soit le prix. Une tentative guère moins risquée qu’affronter les hommes de Javier…

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Château Rouge, Junichi Watanabe

Depuis Manchette, on sait que la bonne littérature dite de genre doit savoir s’appuyer sur les codes attendus pour formuler un commentaire social qui percute et surprend. J’ai beau reconnaître sans peine une inculture abyssale en matière d’écrits érotiques – que seule excède ma méconnaissance du roman japonais – il semble toutefois en aller ainsi dans ce sous-ensemble précis. La difficulté de trousser assez adroitement une scène de sexe d’un paragraphe dans une histoire réputée conventionnelle en évitant que son lecteur ne glousse ou lève les yeux au ciel s’avère déjà assez élevée en soi. De fait, trois cent vingt sept pages de cul stricto sensu, au-delà du risque de redite, auraient peu de chances de se suffire à elles-mêmes pour garantir que le public demeure tout à fait captivé. Château Rouge, de Junichi Watanabe, est un roman culte japonais du début des années 2000. S’il s’inspire de la formule bien connue des amateurs de pornographie – éculée, si j’osais – de l’initiation au plaisir d’une femme mariée, ce livre dit bien plus de la bonne société locale que des mille et une façons d’accomoder le papayou-lélé au pays du soleil levant.

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Ohio, Stephen Markley

New Canaan, quinze mille âmes, trou d’Amérique moyenne à la fois rurale et industrielle coincé au Nord-Est de l’Ohio où l’on cause avec l’accent des Appalaches. Ce 13 octobre 2007, la communauté enterre Rick Brinklan, ex-footballeur star du lycée local, flingué au bout du monde dans une guerre de Bush Jr. en laquelle il croyait. Il était l’un des fils les plus aimés de New Canaan, aussi le célèbre-t-on avec toute la pompe dont la ville demeure capable : sa dépouille remonte la rue principale sur le plateau d’un pickup Dodge, enfermée dans un cercueil prêté par le Wallmart local ; l’hypermarché s’avère d’ailleurs l’unique bâtiment récent et majestueux des environs.

À l’issue de ce prologue, les lecteurs de Leurs enfants après eux se sentiront en terrain connu. Stephen Markley sonde lui aussi l’âme d’un patelin imaginaire pour lequel le terme « déclassement » semble avoir été inventé.