C’est donc en pleine crise du papier que Monsieur Toussaint Louverture a publié un bottin de plus d’1,2 kg, « édition remasterisée couleurs » d’une œuvre culte bien plus proche ici de sa forme originale que de la traduction parue en 2003 chez Denoël. Le livre n’impressionne pas seulement par son poids : on sait le soin maniaque porté par l’éditeur à la fabrication d’objets beaux et complexes, et cette Maison des Feuilles aura ainsi constitué pour lui un formidable terrain de jeu. La nature même de son intrigue à tiroirs nous renvoie à l’époque de l’action, celle de la fin des années 90, au temps où Le Projet Blair Witch lançait la mode des « found footages » horrifiques et Ring consacrait les histoires d’œuvres maudites vouées à tourmenter ceux qui les consultaient. L’introduction a valeur de mode d’emploi. Elle est signée Johnny Errand, un tatoueur de Los Angeles nous expliquant comment un invraisemblable manuscrit récupéré dans l’appartement d’un vieillard décédé nommé Zampanò a bouleversé sa vie. Le livre est l’exégèse d’un documentaire introuvable largement considéré comme une fiction, le Navidson record, et Johnny a décidé de le publier malgré les terribles effets qu’il eut sur son quotidien.
Débute alors la fameuse étude de Zampanò, copieuse à l’extrême et riche de nombreuses annexes ajoutées par Johnny ou l’auteur lui-même. Le faux documentaire présumé serait le fait d’un photographe de guerre récompensé par le prix Pulitzer, William Navidson, et traite d’une maison située en Virginie dans laquelle serait apparue une pièce supplémentaire, en fait un dédale inextricable défiant tous les postulats d’Euclide.