130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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L'arbre monde, Richard Powers

Là où j’ai grandi, la végétation était un décor, taillé de si près qu’il me semblait artificiel. Devant la maison, une pelouse rase s’étendait de part et d’autre de l’allée de graviers. Sagement plantés le long de la haie, à intervales réguliers – seul un taillis, à droite de l’allée, faisait exception – quelques arbres étendaient de maigres ramages. Leur intérêt premier était de faire des cages de foot acceptables. Sous la fenêtre du salon, le massif de tulipes et de pensées, au motif régulier comme un formulaire Cerfa, n’aurait guère déparé sur un morne rond-point. De l’autre côté de la maison, un haut cerisier s’élevait, déplumé et solitaire, entre la 2CV et la R20 de mes parents. Une ouverture dans son tronc avait été colmatée avec du ciment. Le jardinier responsable de toute cette luxuriante féerie s’appelait – vraiment – Francisque Bataille.

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Je vous imagine, à ce stade, remonter en tête du présent article pour vérifier son titre. Mais oui, les 426 mots qui précèdent ont tout à voir avec L’arbre monde, de Richard Powers, Grand Prix de littérature américaine 2018. Comme le répète Adam, personnage clé de ce roman choral de 533 pages, « Les meilleurs arguments du monde ne feront jamais changer d’avis. Pour ça, ce qu’il faut, c’est une bonne histoire ». Alors que, depuis des décennies, les preuves formelles des cataclysmes en cours sont agitées sous les yeux de toute personne dotée d’un cerveau qui fonctionne, elle garde de bonnes chances de s’en contrefoutre. Le génie de Richard Powers consiste donc à utiliser la forme romanesque là où la non-fiction a si longtemps échoué.

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Errol Spence Jr. vs Mikey Garcia : double bagel, goût BBQ

L’expression « bagel » désigne, en tennis, un set remporté sur le score sans appel de six jeux à zéro ; comme de juste, un « double bagel » s’utilise en cas de rouste mémorable – 6/0 6/0, pour ceux qui ont suivi. Selon cette logique, le succès d’Errol Spence Jr. sur Mikey Garcia, cette nuit à Arlington, est un double bagel unanime, puisqu’aucun des trois juges n’accorda le moindre round au challenger sur les 12 que compta le championnat du monde IBF des poids welters. Pire, Glenn Feldman, par son 120-107, estima qu’une reprise valait 10-8 pour Spence, un pointage rare en l’absence d’un knockdown. C’est dire à quel point Errol « The truth » Spence a survolé ce duel de texans invaincus.

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Missing : New York, Don Winslow

Don Winslow est complètement graphomane. Depuis bientôt vingt-cinq ans qu’il enchaîne les bestsellers, certains livres de celui qui concède son incapacité à ne pas écrire plus de cinq jours de rang ne sont même pas publiés aux États-Unis. Sans doute son éditeur a-t-il choisi de ne pas disperser la marque qu’est devenue le nom de Don Winslow sur le marché américain. J’ai dit ici tout le bien que je pensais de La griffe du chien et sa suite Cartel, consacrés au trafic de stupéfiants le long du Rio Grande, et je compte les jours jusqu’à la parution de la traduction de l’épisode final, opportunément intitulé The border. Missing : New York est un polar moins ambitieux que ces trois-là, en même temps que le démarrage d’une nouvelle série attachée au personnage de Frank Decker.

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Irrécupérable, Lenny Bruce

L’an passé, Tristram a fait l’actualité de l’édition française en publiant une nouvelle traduction de L’île au trésor, et compte aussi dans son catalogue les chefs-d’oeuvre de Mark Twain. Mais la maison gersoise doit moins ma gratitude aux grands classiques américains qu’à ses perles sur la boxe – Fat city de Leonard Gardner, De la boxe de Joyce Carol Oates – ou à son goût pour les trésors de la contre-culture des années 60. Parmi ces derniers, l’essentiel des Gonzo Papers de l’inestimable Hunter S. Thompson, les poubelles d’Hollywood obligeamment fouillées par Kenneth Anger, les papiers sous acide du critique rock Lester Bangs, ou la toute première version française de l’autobiographie du comique Lenny Bruce, Irrécupérable.

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Eureka Street, Robert McLiam Wilson

Les détracteurs d’Hunter S. Thompson sentent l’eau de cuisson des Knackis et font mal l’amour. C’est en tout cas la façon dont je me les figurais dans un passé récent. Robert McLiam Wilson, dans l’un de ses papiers pour Charlie Hebdo, a laissé entendre qu’il n’aimait pas Hunter S. Thompson, ce dont j’avais déduit, presque désolé pour lui, que ses odeurs corporelles comme sa réputation d’amant devaient lui porter un sérieux préjudice. Seulement voilà : il a aussi écrit Eureka Street. Un de ces rares bouquins qui, une fois refermés, laissent imaginer leur auteur échevelé s’exclamer, tel un docteur Frankenstein à la fois fier et dépassé par la portée de sa création : « It’s alive ! It’s alive ! » Peut-être Robert McLiam Wilson est-il, après tout, une exception dans le triste cheptel des Thompsonophobes : on imagine mal pareil miracle pondu par un mal-baisant à l’épiderme qui pue le rance.