130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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La petite femelle, Philippe Jaenada

Lorsqu’il apparaît dans votre champ de vision, Philippe Jaenada y impose une présence d’ogre de village croisé Rapetou, tête ronde au cheveu ras et aux sourcils épais posée sur un menhir drapé de noir. Surnommé « Boit-sans-soif » au sein d’une fine équipe dite des « descendeurs de Ménilmontant », lui-même rappelle à l’envi que le remplissage régulier d’un pareil fût relève du tour de force, mais aussi de la nécessité. L’incipit de La petite femelle est clair sur ce dernier point : « Je suis comme les bébés, quand la nuit tombe, j’ai besoin d’un whisky » (Bien que plus porté sur le raisin fermenté que sur le malt, j’estime disposer de quoi comprendre parfaitement ce dont il parle (Ce n’est pas notre unique point commun, puisque j’ai moi aussi vu le jour à Saint-Germain-en-Laye, 10 ans après lui (À supposer qu’il soit également né à l’hôpital public, notre caste est vouée à l’extinction, puisque la maternité en question a fermé en 2006))). Considérez les trois digressions gigognes qui précèdent comme une tentative d’illustration d’une autre caractéristique du bonhomme : il aime digresser.

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Us, Jordan Peele

Trop de bonnes fées s’étaient penchées sur Get out, le premier film de Jordan Peele, pour ne pas nourrir quelque appréhension pour son deuxième opus Us, résolument positionné sur le même créneau de l’horreur contemporaine à fort arrière-plan sociétal. Get out avait du style, une distribution irréprochable, autant d’ironie que de poil à gratter, une bonne dose de malice et de vraies difficultés à boucler son récit à un niveau conforme aux attentes suscitées par les trois premiers quarts du film. Plus ambitieux dans le propos comme dans la structure, Us surpasse presque en tout point son glorieux prédécesseur.

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Le contrat, Donald Westlake

Avec plus d’une centaine de romans publiés, Donald Westlake connaissait les beautés et les vilénies ordinaires du monde de l’écriture. Prolifique au point d’être soupçonné d’avoir recours à des prête-plume, il dut adopter quantité de pseudonymes, selon les héros et registres exploités. S’il est fameux pour avoir crée l’impitoyable Parker et le désopilant Dortmunder, personnages récurrents de ses séries de polars les plus profuses, Westlake s’est aussi frotté au roman d’aventures – lisez Kahawa -, à la chronique de moeurs mélancolique – jetez-vous sur Ordo, Adios Schéhérazade et Mémoire morte – et à la satire sociale à la sulfateuse, dont le plus formidable représentant est Le couperet, adapté au cinéma par Costa Gavras. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Le contrat, roman pervers se déroulant dans le milieu de l’édition new-yorkaise du début des années 2000.

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Partiellement nuageux et Cour Nord, Antoine Choplin

Quitte à reprendre du dessert, un sorbet prévient plus sûrement l'écoeurement qu'une nouvelle part de Forêt noire épaisse comme la Bible. Même l'inconditionnel que je suis des empilements dantesques de génoise, Chantilly et cerises au kirsch en conviendra. Après s'être régalé d'un massif roman choral américain, gorgé de personnages et de rebondissements  sur plusieurs décennies, lire Antoine Choplin est un ravissement.

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L'arbre monde, Richard Powers

Là où j’ai grandi, la végétation était un décor, taillé de si près qu’il me semblait artificiel. Devant la maison, une pelouse rase s’étendait de part et d’autre de l’allée de graviers. Sagement plantés le long de la haie, à intervales réguliers – seul un taillis, à droite de l’allée, faisait exception – quelques arbres étendaient de maigres ramages. Leur intérêt premier était de faire des cages de foot acceptables. Sous la fenêtre du salon, le massif de tulipes et de pensées, au motif régulier comme un formulaire Cerfa, n’aurait guère déparé sur un morne rond-point. De l’autre côté de la maison, un haut cerisier s’élevait, déplumé et solitaire, entre la 2CV et la R20 de mes parents. Une ouverture dans son tronc avait été colmatée avec du ciment. Le jardinier responsable de toute cette luxuriante féerie s’appelait – vraiment – Francisque Bataille.

(...)

Je vous imagine, à ce stade, remonter en tête du présent article pour vérifier son titre. Mais oui, les 426 mots qui précèdent ont tout à voir avec L’arbre monde, de Richard Powers, Grand Prix de littérature américaine 2018. Comme le répète Adam, personnage clé de ce roman choral de 533 pages, « Les meilleurs arguments du monde ne feront jamais changer d’avis. Pour ça, ce qu’il faut, c’est une bonne histoire ». Alors que, depuis des décennies, les preuves formelles des cataclysmes en cours sont agitées sous les yeux de toute personne dotée d’un cerveau qui fonctionne, elle garde de bonnes chances de s’en contrefoutre. Le génie de Richard Powers consiste donc à utiliser la forme romanesque là où la non-fiction a si longtemps échoué.