130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

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Requiem pour un chou

Souvent, les boxeurs meurent trop tôt. Parce que la violence du ring les a usés, ou parce qu’elle a fini par faire partie d’eux. Le plus exigeant des sports fait de bien vilains vieux, quand il laisse à ses champions le soin de vieillir, tout court. Si ce n’est pas la boîte à fusibles qui déclare forfait, sur un coup ou après cent mille, c’est parfois une balle qui vient solder l’affaire. À l’occasion, la boxe ne se prive pas non plus d’une ironie macabre. Demandez à l’obscur journeyman Brad Rone, foudroyé par une attaque alors qu’il combattait pour payer les obsèques de sa mère. Ou bien à l’immense Pernell Whitaker, percuté avant-hier par une voiture à l’âge de 55 ans, lui que les meilleurs pugilistes des années 80 et 90 peinèrent à effleurer de leurs poings.

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L'homme de Kiev, Bernard Malamud

Celles et ceux qui m’honorent d’un passage régulier sur ce blog savent que je n’ai pas honte des nombreuses lacunes de ma culture littéraire. Le contraire serait absolument vain. Or, jusqu’à l’été dernier, l’oeuvre de Franz Kafka en restait l’une des plus remarquables. Parmi les romans de chevet de ceux que je tenais pour d’authentiques lettrés, Le procès revenait avec régularité. J’ai donc fini par l’aborder, comme tout texte réputé incontournable et exigeant, avec la crainte de franchement passer à côté. Une appréhension confirmée pour partie une fois refermé le bouquin : j’avais l’impression d’en avoir à peine effleuré la profondeur infinie, et de n’avoir rien éprouvé d’autre qu’une admiration béate pour l’intelligence de son auteur au fil des pages. Peut-on prétendre avoir aimé un roman qui n’a pas suscité de réelle émotion en vous ? Faute d’une réponse idoine, j’optai pour une recette éprouvée, celle du refus d’obstacle : je n’ai donc pas écrit de billet sur ce livre-là.

Quelques mois plus tard, j’ai découvert l’existence d’un autre chef d’oeuvre du siècle dernier traitant de l’attente interminable d’un procès absurde : L’homme de Kiev, rare attributaire du prix Pulitzer et du National Book Award, de l’américain Bernard Malamud. Loin de la grâce parfois abstraite et désincarnée du Procès pour les lecteurs un rien terre-à-terre dont je suis, L’homme de Kiev suscite un malaise et un élan viscéraux, sans que l’ambition du propos de Malamud soit inférieure à celle de Kafka. Comme Jonathan Safran Foer l’exprime avec justesse dans sa préface, il ne se contente pas de pointer les dysfonctionnements d’un monde détraqué, mais exhorte littéralement à le réparer.

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Hellfest 2019 : Retour vers l’enfer (partie 3)

Dimanche matin, le camping que tu traverses en début d’après-midi pour accéder à Hell City est empreint d’une douce torpeur. La fatigue est palpable, les demarches ont raidi et quelques pattes traînent dans la poussière ambiante. Aux douches, la file d’attente s’allonge. Tout le monde n’est pas pressé de rempiler. Tu éviteras de les juger : eux n’ont pas pioncé dans un gîte, mais entendu diverses modulations du cri « APÉROOO » jusqu’à 6 du mat’, suivies par un choeur déchaîné de « Respectez les gens qui dorment ! » pour peu qu’un malheureux ait réclamé le silence. Le camping n’est certes pas une truc de touristes. Las, ton équilibre nerveux, ton bas du dos en balsa et l’accès facilité à des sanitaires te sont désormais trop précieux pour tenter l’expérience à l’âge que tu traînes. Et les plus hagards des visages croisés ne suscitent guère ta jalousie.

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Hellfest 2019, retour vers l'enfer - Partie 2

Le lendemain, tes potes et toi quittez votre gîte un poil plus tard : aucun de vos incontournables n’est programmé d’entrée. Lassé par le harcèlement potache de ta bande, l’ami Pantacourt a passé un kilt, comme une part non négligeable des festivaliers. Un calcul qui comporte sa propre part de risque. Ce matin du deuxième jour est un moment particulier. L’excitation du brutal changement d’environnement qui dure, les quelques courbatures te rappellant les bonheurs de la veille, la joie enfantine d’avoir encore les deux tiers du festival devant toi. En arpentant la départementale, de la bagnole jusqu’aux portes de l’enfer, tu dissertes avec tes copains sur la portée symbolique de cette marche. Tandis que le gros son enfle au loin, la meute des pélerins du métal se fait plus dense, et les premiers signes de la noce apparaissent peu à peu, voiture mal garée couverte de canettes vides, premiers accoutrements délirants, ou apéros sur des tables de camping dépliées devant les Quechuas. Ce parcours est une transition vers un toi ancien, éminemment aimable et dépourvu d’embrouilles de lombaires, de tribu ou de turbin. Un toi essentiel pour qui watts pesants, Kro fraîche, blagues atterrantes et nichons devinables constituent la quintessence de la félicité terrestre.

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Hellfest 2019, retour vers l'enfer - Partie 1

Puisque c’est ton second Hellfest, la question de savoir si tu as bien fait de venir, très prégnante l’an passé, n’est plus d’actualité. Tu sais désormais que ces trois jours du triptyque gros son – libations – régression assaisonneront douze mois de ton milieu de vie comme la ravigote enchante la tête de veau. D’ailleurs, cette fois, tu as pris les choses en main, histoire de ne plus être un putain de clandestin. Plus de viagogol à l’arrache, mais un pass acquis dans l’heure et demie suivant la mise en vente – 55 000 enragés en auront fait autant. Plus d’incruste dans une équipe déjà rodée, mais cinq autres salopards triés sur le volet, dont la plupart causaient déjà sidérurgie musicale avec toi en classe de seconde. Plus de première demi-journée carottée par les transports, mais une arrivée sur base la veille au soir. Autant dire que, cette fois, tu sais ce que tu fous là.

Non, le vrai débat, désormais, serait plutôt d’établir si tu es un touriste. Quelques précisions s’imposent ici. À lire sur la toile les comptes-rendus d’autres que toi, le touriste est unanimement fustigé, mais pullulerait chaque année un peu plus. Plutôt CSP+ que punk à chien, il viendrait surtout à Clisson en SUV Audi pour jouir de l’ambiance d’Oktoberfest vrombissante du festival – parfois même du haut des tribunes VIP honnies. Le bougre logerait ailleurs qu’au camping officiel, n’hésiterait pas à arborer des Tshirts blancs, bouderait l’essentiel des hurleurs satanistes à trognes et patronymes vikings, et s’enthousiasmerait pour les shows mollassons des vieilles gloires les plus inoffensives, soit la programmation des Mainstages passé 19 heures. Pire, par sa seule présence importune, chaque touriste priverait un authentique métalleux d’un séjour au Valhalla. ‘culés, va. Tu as beau ne plus être un bleubite, avoue qu’on pourrait hâtivement t’attribuer une ou deux – ou trois – caractéristiques de l’abject portrait-robot. L’angoisse t’étreint. Touriste, toi ? Tu as trois jours pour (te) prouver le contraire.