130 livres

130 livres

Littérature, boxe anglaise et parfois les deux à la fois

Antoine Faure

Des chroniques de livres nouveaux ou anciens, essentiellement en littérature française ou américaine, et des émissions sur l'actualité et l'Histoire de la boxe anglaise. NB : les sujets sur la boxe sont regroupés en Saison 1, les sujets "Divers" en Saison 2. Textes disponibles sur www.130livres.com

En cours de lecture

Ce que nous sommes, Caroline Bongrand

Que reste-t-il de soi-même lorsque les anciens sont partis ? Une personnalité dont on s’accomode à défaut de toujours la comprendre, un roman familial entre réel et fiction, et l’ancrage dans un terroir, des lieux, voire des murs particuliers. Essentiel, ce dernier élément manque à Caroline Bongrand alors que disparaît sa mère, et que subsistent en elle des failles dont elle souffre sans n’y pouvoir rien changer : une propension marquée à confondre amour et dévoration, la panne chronique d’un oeil en parfait état, et de violents accès d’angoisse dès qu’une oeuvre présente un enfant séparé de ses parents...

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La littérature sans estomac, Pierre Jourde

C’est écrit en petits caractères, page 78 du manuel de bienséance du blogueur littéraire : avoir chroniqué les derniers Houellebecq et Nothomb – mieux, les avoir appréciés – autorise à piocher une carte « élitisme ». Sur le présent site, ce premier papier de l’année sera donc consacré à une rareté, publiée chez un éditeur disparu – feu L’esprit des péninsules, fondée par Éric Naulleau – et désormais trouvable au prix d’une hideuse compromission, puisque c’est via la place de marché d’Amazon qu’on entre en contact avec les derniers libraires l’ayant toujours en stock (en l’occurrence, une maison finistérienne que je salue).

Deux phénomènes complémentaires expliquent la confidentialité dans laquelle demeure reclus La littérature sans estomac, de Pierre Jourde. Il s’agit d’abord d’un bouquin de 328 pages aussi exigeantes que gratifiantes, comme souvent chez l’auteur (cf. Paradis noirs, Pays perdu et La première pierre), mais surtout d’un brûlot qui vaut à celui-ci la franche hostilité des oligarques germanopratins depuis sa sortie en 2002. Le livre est un hommage et une actualisation du pamphlet La littérature à l’estomac, de Julien Gracq, qui fustigeait en 1950 les travers du monde enchanté des belles lettres. Pour l’essentiel, les deux ouvrages furent des charges majuscules contre stylistes, fabricants et distributeurs d’un prêt-à-digérer littéraire toujours plus convenu. Croire cependant que La littérature sans estomac serait réductible à un amoncèlement arbitraire de vannes d’humoriste subventionné reviendrait à bien mal connaître Pierre Jourde. Avec une rigueur infinie, le bougre applique une méthode, et c’est bien ce qui le rend dangereux pour ses cibles.

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Shadow Box, George Plimpton

Imaginez la scène : nous sommes dans un club de boxe de Manhattan qui fleure bon le renfermé, le vieux cuir et la transpiration, en 1959. Devant un parterre intrigué et rigolard, le champion du monde des poids mi-lourds se livre à une exhibition de trois rounds contre un échalas pâlot qui ne connaissait rien au noble art encore trois mois auparavant, souffrant d’un syndrome de réaction sympathique à la moindre gifle – autrement dit, d’incontrôlables crises de larmes. L’inconscient en question se nomme George Plimpton, et le récit de son défi abracadabrantesque à Archie Moore ouvre Shadow box, récit de quinze ans d’observation méticuleuse et fascinée d’un des âges d’or de la boxe, de l’ascension du jeune Cassius Clay vers le titre mondial des lourds jusqu’à sa formidable reconquête, une fois devenu Muhammad Ali, par une nuit zaïroise d’octobre 1974...

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Des raisons de se plaindre, Jeffrey Eugenides

Le dernier festival America de Vincennes nous gratifia d’une soirée de prestige, à laquelle participèrent quatre lauréats du prix Pulitzer de la fiction, animée par un François Busnel peigné comme jamais. Face à une assistance fournie, le carré d’as resplendissait, chacun flanqué d’un traducteur et assumant son rôle à la perfection. Tout à droite, le benjamin et beau gosse Colson Whitehead, dreadlocks, port altier et verbe assertif. Puis Richard Russo, affable doyen s’exprimant pour l’essentiel par anecdotes amusantes. De l’autre côté du maître de cérémonie, Michael Chabon, indéfectiblement enthousiaste et reconnaissant d’avoir été admis dans l’Olympe des lettres américaines. Enfin, Jeffrey Eugenides, archétype du professeur de Princeton en veste en tweed et pantalon de velours, le moins causant des quatre, grand front et regard affûté, délicieusement pince-sans-rire.

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Soif, Amélie Nothomb

Je n’avais, jusqu’à présent, jamais rien lu d’autre d’Amélie Nothomb qu’une longue interview accordée à la Revue du Vin de France, dans laquelle elle confie ses habitudes de grande amatrice de champagne. Il y est notamment question de la façon dont elle n’entame chaque bouteille qu’en s’étant assurée d’être assoiffée. Ainsi, selon elle, l’expérience gagne encore en suavité pure. Puisque la soif est pour Amélie Nothomb une pulsion de vie quintessencielle, et qu’elle fut l’ultime désir exprimé par le Christ sur sa croix, je n’ai guère été surpris que le nom de cette sensation fût le titre du roman de l’année de la prolifique auteure belge, consacré cette fois au mystère de l’incarnation...